Interview : Les 25 ans de Sonic par ses créateurs, part 3

Sonic Adventure
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Avec un petit retard, voici enfin la troisième et ultime partie de la version française de l'interview Famitsû réunissant Yuji Naka, Naoto Ôshima et Takashi Iizuka.

Partie 1.
Partie 2.

Bonne lecture et à bientôt pour une toute autre traduction ;)

Hardware nouvelle génération, la Dreamcast entre en scène. Sonic renaît dans sa forme du futur.

--J'aimerais parler de la Dreamcast. Alors que vous ne vouliez plus faire de Sonic, vous souvenez-vous du moment où votre avis a changé ?

Yuji Naka : De nombreuses voix se sont élevées pour dire que si d'un point de vue ventes, la Saturn fut dans une mauvaise posture, c'est parce qu'il n'y a pas eu de Sonic. Même si cela ressemble à une excuse, on n'avait pas l'intention de mettre 2 années à réaliser NiGHTS. On pensait le faire en 1 an puis enchaîner sur un nouveau Sonic, mais au final nous avons été bloqués 2 années.

Par la suite, tout en étant profondément désolés, nous avons dû passer à l'étape suivante. Afin d'avoir un titre approprié au lancement, exploitant la machine, pour la première fois en 3D et avec un nouveau chara design, on a relevé bon nombre de challenges. Et on a beaucoup débattu afin de décider de faire parler ou non Sonic.

--Vous vous êtes longuement concertés donc. La Sonic Team est aussi allée en Amérique du Sud afin d'y faire des repérages.

Yuji Naka : Oui oui. Pour en faire un titre majeur on a beaucoup discuté et décidé d'aller à Mexico, au Guatemala et au Pérou, afin d'y effectuer des repérages durant 2 semaines. C'est Iizuka qui avait réfléchi au fait d'aller sur les lieux ayant servi au tournage d'Indiana Jones. Mais la véritable raison de cette envie de faire cela est le fait que Yu Suzuki ait pu aller rouler sur les Autobahn (Note du Traducteur : autoroutes allemandes) pour Out Run. J'en ai toujours été jaloux et j'ai dit " c'est notre unique chance ! ", et tout en étant débordés, j'ai emmené avec moi 6 membres de l'équipe (rire).

Naoto Ôshima : On était en plein développement de Burning Rangers. Et on a du faire avec les 2 titres à la fois.

--Et le seul qui est resté c'est encore vous Ôshima... (rire crispé)

Takashi Iizuka : Ce voyage de repérage avait aussi pour but de recueillir des textures. Jusqu'alors, c'était le designer qui les dessinait à la main, mais à partir de la Dreamcast, on utilisait les photos tel quel. Et donc on s'est dit, si dans le jeu on y voit des vestiges, alors allons en Amérique du Sud pour prendre les vrais en photo.

Yuji Naka : Il a fallu un gros budget développement ! (NdT : Pour les plus jeunes qui ne connaîtraient que le numérique, il faut savoir qu'à cette époque il s'agissait encore de pellicules).

--Ce nouveau Sonic devait faire face à de nombreux challenges. A l'inverse, afin que le titre reste un Sonic, y a-t-il eu des points que vous n'avez pas changés ?

Naoto Ôshima : De mon point de vue, jusqu'où pouvait-il faire muer Sonic était une question de la plus grande importance. Tout en faisant Burning Rangers, j'arrivais en trombe " mais vas-y, change ça encore plus ! ". En tant que directeur, Iizuka avait sûrement sa vision des choses, mais pour le staff encore jeune, l'image de Sonic était forte et il ne s'en détachait pas.

Takashi Iizuka : C'est pour cela que Yuji Uekawa (entre autres chara-designer de Sonic Adventure mais aussi Ristar et bon nombre de jeux) s'est vu confier le design de ce nouveau Sonic.

Naoto Ôshima : Au début, j'ai passé un croquis " fais quelque chose dans ce genre ", il ressemblait à un père qui prenait la pose en montrant ses muscles et ses épines avaient poussé, c'était brutal, Uekawa a eu comme réaction " si je fais ça les fans vont me tuer " (rire).

--Et vous, à quoi ressemblait votre vision ?

Takashi Iizuka : Jusqu'alors, le scénario du jeu était relativement minimaliste puisque simplement écrit dans le livret du jeu, c'était un style où le joueur imaginait par lui-même l'histoire. Mais à partir de Sonic Adventure, il parle et il y a une vraie histoire. Et donc, afin de ne pas trahir le Sonic imaginé par tous, dès le début, on a construit l'ensemble du jeu en ayant conscience de cela. On a fait en sorte de conserver l'image du Sonic classique avec son coté légèrement impertinent mais mignon qui va à toute vitesse. Et donc, on lui a donné une façon de parler quelque peu effrontée, avec comme expression favorite un " Wouah " à l'américaine.

Naoto Ôshima : Qui a pensé à l'histoire ?

Takashi Iizuka : Pour l'histoire, des grandes lignes jusqu'aux répliques, c'est Akinori Nishiyama (NdT : il a travaillé sur de nombreux jeux, dont bon nombre de Sonic. Souvent en tant que directeur ou producteur).

--Et vous Yuji Naka, en tant que producteur je pense que vous aviez un peu un rôle de juge, quels éléments avez-vous pointés du doigt ?

Yuji Naka : En moi-même, j'étais plutôt inquiet sur le fait d'aller aussi loin. Toutefois, c'était pile le bon moment pour passer en 3D, et il ne s'agissait pas seulement du style, le personnage a lui aussi beaucoup changé. Pour reprendre les mots d'Ôshima, grand fan de Disney, " Afin de s'adapter à son époque, Mickey aussi change de forme ". Si on parle game design, je dirais le timing pour le saut. Lorsque l'on passe en 3D, la limite du point d'appui est difficilement appréciable, je me demandais ce qu'il fallait faire. Pendant le développement de Burning Rangers, suite à une discussion avec Ôshima, on avait décidé de rendre le saut automatique lorsque Sonic arrive à la limite du point d'appui. Toutefois, dans le cas de Sonic, c'est un jeu ou on veut pouvoir apprécier par soi-même quand sauter, et durant les sauts on a intégré la homing attack, permettant d'avancer en éliminant les ennemis, rendant la progression des plus agréable.

--Parmi les différences avec le Sonic 2D, le côté " tu tombes tu meurs " est moins présent n'est-ce pas.

Yuji Naka : Il est incontestable que nous avons réduit les situations ou une chute entraîne la mort. Pour Sonic 2D, il y avait un dispositif que l'on nommait entre nous le " Yasuhara set " (NdT : pour Yasuhara Hirokazu Game Planner sur Sonic 1 entre autre), un dispositif qui consistait à placer des piques après un saut, hors, on l'a exclu pour la 3D car elle entraînait des morts en permanence. C'est pour cela que le déroulement du jeu a peut-être beaucoup changé, mais pour Sonic 3D il nous fallait établir des normes.

Takashi Iizuka : Dans le genre action 3D on a eu comme prédécesseur Super Mario 64, mais à ma première partie je ne savais pas où aller. Pour les anciens Sonic, il s'agissait d'un design ou il suffisait d'aller sur la droite pour arriver au but, je ne voulais pas faire de Sonic Adventure un jeu ou on ne savait pas dans quelle direction aller. Le système adopté est donc une caméra qui se dirige toujours vers notre objectif.

--Donc la sensation de rider à grande vitesse dans Sonic Adventure vient donc de cela.

Takashi Iizuka : S'il n'y avait pas eu ce système de caméra automatique, je pense que Sonic 3D n'aurait pas vu le jour.

Yuji Naka : Alors que le jeu subissait de grands changements, pour la sortie de la Dreamcast... on a eu 1 mois de retard pour la mise en rayon. On a été soulagés de parvenir à le mettre en vente, mais le staff a du directement enchaîner sur la version internationale.

Takashi Iizuka : Oui (rire).

--En tant que personnage, tout en gardant ses bases, son évolution ne s'arrête pas, c'est comme cela que l'on peut décrire Sonic n'est-ce pas.

Takashi Iizuka : Oui exactement. C'est pour cela qu'au final il n'y a pratiquement pas de suite directe d'un épisode à l'autre. On fait en sorte d'apporter à chaque fois un nouveau concept.

--Ce Sonic que vous avez fait naître, puis élevé, apparaît désormais aux côtés de Mario dans le jeu des JO, votre avis là -dessus ?

Yuji Naka : Pour dire vrai, voulant faire un titre avec Mario, je suis allé voir une fois Shigeru Miyamoto afin de lui faire une présentation du jeu d'action que je souhaitais réaliser avec Sonic et Mario. C'était à l'époque de la Game Cube, j'y suis allé avec 4 planners. " Il n'est pas nécessaire de faire un jeu d'action avec Sonic et Mario " nous a-t-il dit, et malheureusement le jeu ne s'est pas fait. Toutefois, pile au même moment, SEGA ayant acquis les droits des jeux Olympiques, les 2 personnages ont donc pris part ensemble à la licence.

Et juste après, Sonic a fait son apparition dans Super Smash Bros Brawl. Toutefois, c'est encore moi qui en ai fait la demande à Masahiro Sakurai (NdT : Réalisateur et scénariste sur ce jeu). Le jeu des Jeux Olympiques, bien qu'il diffère de mon idée, me ravit quant à l'idée que les enfants du monde entier s'amusent de cette collaboration. Mais je souhaite vraiment qu'un jour Sonic et Mario apparaissent ensemble dans un jeu d'action. Iizuka, il faut que tu trouves une raison à cela et que tu ailles faire de nouveau une présentation (rire).

Naoto Ôshima : Je pense pareil. Avant ils étaient rivaux, mais lorsque je le les ai vus apparaître ensemble, " Nintendo a reconnu Sonic " ai-je pensé avec le sourire.

Yuji Naka : Depuis longtemps, j'ai toujours rêvé de voir Sonic marcher fièrement dans un parc d'attraction, mais même à Disney Land cela me conviendrait aussi. Le studio DiC Entertainment qui avait réalisé un dessin animé Sonic en Amérique a été acheté par Disney. " Si ça se trouve, Sonic va marcher à Disney Land " ai-je pensé tout content pendant un temps, mais cela n'est jamais devenu réalité. D'un point de vue personnel j'aimerais le voir apparaître un peu partout.

L'évolution ne s'arrête pas, l'ADN de Sonic. Le portrait du Sonic du futur ?

--L'interview va bientôt toucher à sa fin. Dans ce laps de temps, que représentent ces 25 années, il y a peu de séries ayant continué avec cette constance.

Takashi Iizuka : On n'est pas loin de 100 jeux si on rassemble tout.

Yuji Naka : Il y en a tant que ça ! Les versions Game Gear entre autres, je n'y ai pratiquement pas touché. Comme il s'agissait d'une autre équipe...

--Et à ce propos, est-ce que vous, Yuji Naka et Naoto Ôshima, vous jouez aux Sonic d'aujourd'hui ?

Naoto Ôshima : Pas tous, mais j'y joue. Je pense que c'est fantastique de toujours ressentir cette vitesse qui ne change pas.

Yuji Naka : Moi, j'en suis désolé mais je n'y joue pas (il est catégorique). En 2006 jusqu'à mon départ de SEGA, n'ai-je pas toujours été sur cette série ? Et donc, si j'y joue il y a tout un tas d'éléments qui attirent mon attention.

--Vous le regardez avec les yeux du professionnel ?

Yuji Naka : Après avoir quitté SEGA, j'ai essayé le titre fait à la suite de mon départ, et durant les 10 premières secondes tout un tas d'éléments attiraient mon attention, et je me disais entre autres " je ne peux pas toucher à ça ? ", et depuis je me contente de l'observer de loin. Par la suite je n'y ai plus du tout touché. J'ai travaillé jusqu'au Sonic the Hedgehog qui fut mis en vente en 2006, mais j'ai quitté l'entreprise en cours de route, et je ne peux pas m'empêcher de me focaliser sur les éléments faits par la suite. On avait pour intention d'en faire un grand jeu pour les 15 ans, en le nommant comme le tout premier épisode, on voulait signifier " c'est un nouveau départ ". Au final, il ne fut pas apprécié, je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu m'en occuper jusqu'au bout.

--On ne vous communique aucune information sur Sonic ?

Yuji Naka : Sur les salons par exemple, je regarde les vidéos de loin, et je me dis par exemple ; " Cette fois Sonic est comme ça !? ". Comme toujours je suis forcement intrigué. Toutefois, je me garde d'en parler à Iizuka.

--C'est un peu comme si votre fille s'était mariée (rire).

Yuji Naka : Si un jour on en a l'occasion, je pense que l'on pourrait refaire un Sonic tous les 3, mais comme Iizuka part en Amérique, cela risque d'être peu probable. Mais propager l'ADN qu'il possède depuis le début est une bonne idée je pense. Il me semble que le moment est venu pour franchir une nouvelle étape qu'est ces 25 ans, j'attends cela avec impatience. La prochaine fois que l'on se réunit c'est pour les 50 ans ? (rire)

Takashi Iizuka : On risque d'être décrépis, même si on nous pose des questions il est probable que l'on ne puisse plus y répondre.

(Fou rire général)

Yuji naka : J'aimerais vraiment que ça dure aussi longtemps. Être encore en activité et fêter cet anniversaire avec Sonic.

--Il y a eu une vraie rivalité avec Mario de Nintendo.

Yuji Naka : Avoir eu un tel adversaire, ce fut une très bonne chose je pense. Pas seulement pour SEGA mais pour le monde du jeu vidéo. Aujourd'hui il n'y a plus trop de différences entre les plateformes, et l'esprit de rivalité s'est estompé, c'est plutôt dommage.

--Votre vision du Sonic du futur ?

Takashi Iizuka : Je pense que les fans sont tous au courant qu'au-delà des jeux que nous, la Sonic Team, faisons, une série animée en CG de Sonic Boom existe. Et donc, les pays/régions dans lesquels nos jeux ne sont pas disponibles peuvent diffuser la série et faire connaître la licence. Les jeux, la série TV, et le film en cours de production par Sony Pictures, vont permettre d'élargir par ces différentes formes le monde de Sonic, pouvoir toucher à tout est une bonne chose je pense.

--Et pour cela, vous, Takashi Iizuka vous allez en Amérique ?

Takashi Iizuka : Tout à fait. En faisant l'historique aujourd'hui on l'a évoqué, il y a eu Sonic R qui a été fait à l'étranger, mais aussi des jeux tels que Sonic et le Chevalier noir avec lequel ni moi ni Yuji Naka n'avons eu de contact et qui se sont écartés de la bonne route. Et Sonic Boom, qui fut mis en vente il y a 2 ans, les joueurs nous ont clairement dit ne pas l'avoir apprécié. Et donc, afin de respecter la norme " Sonic doit être comme cela ", je pars à Los Angeles dans le département s'occupant de la marque Sonic.

--Vous allez donc prendre le contrôle du devenir de Sonic.

Takashi Iizuka : Oui c'est cela. 25 ans ce n'est que du temps, n'importe quel jeu est égal face à cela. En 20 ans il y a eu seulement 2 NiGHTS. Donc le temps qui s'écoule n'a pas beaucoup d'importance, par contre la carrière oui. Et donc, afin que l'on ne dise pas au prochain anniversaire que c'est une IP du passé, on doit proposer de nouvelles choses ; tout en mettant à profit les acquis je veux faire perdurer cette IP. Bien que Yuji Naka n'y jouera pas (rire).

Yuji Naka : Si dès le départ tu me le montres j'y jouerai ! Mais Iizuka ne m'en parle absolument pas, il doit se dire " Si je le lui montre il va la ramener " (rire).

--On peut dire que votre amour envers Sonic est très fort.

Naoto Ôshima : Dans mon cas, étant moi aussi dans le même métier, s'il y a des choses ratées je ne m'en préoccupe pas. Au contraire, lorsque je trouve des points positifs, je me dis " moi aussi je peux faire mieux ".

Yuji Naka : Moi ça me chiffonne, c'est la frustration qui l'emporte. Surtout lorsqu'il s'agit de Sonic. Les souvenirs des 15 ans passés dessus sont les plus forts.

--Aujourd'hui, en plus d'avoir pu entendre la véritable histoire de la série Sonic, j'ai aussi pu voir distinctement votre véritable relation à vous 3 (rire). Pour ce long moment ainsi que ces précieuses histoires, merci beaucoup.

Yuji Naka : La prochaine fois, appelle nous d'Amérique, moi et Ôshima. Tous les 3 autour d'un bon repas ont pourra de nouveau passer un bon moment à bavarder !

Takashi Iizuka : Je m'en souviendrai ! A ce moment il faudra me faire le plaisir de jouer à Sonic (rire).

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Commentaires

C'est excellent Virtua, chapeau!!! Mais un des passages que je retiens, c'est celui-ci: "J'ai travaillé jusqu'au Sonic the Hedgehog qui fut mis en vente en 2006, mais j'ai quitté l'entreprise en cours de route, et je ne peux pas mempêcher de me focaliser sur les éléments faits par la suite. On avait pour intention d'en faire un grand jeu pour les 15 ans, en le nommant comme le tout premier épisode, on voulait signifier " c'est un nouveau départ ". Au final, il ne fut pas apprécié, je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu m'en occuper jusqu'au bout"