Test : Shinrei Jusatsushi Taromaru (Saturn)

Shinrei Jusatsushi Taromaru, qu’on appellera Taromaru pour faire simple dans cet article, est un titre bien connu des collectionneurs en quête du fullset Saturn tant son prix prohibitif (dans les 1000€ en 2024) aura pu en décourager l’acquisition pour plus d’un. La faute à un tirage qui se limiterait (sans certitude) à moins de 10 000 pièces distribuées. Mais qui dit jeu rare, et particulièrement onéreux, ne dit pas forcément grand, voire tout simplement bon, jeu (oui MoHo et Courier Crisis on parle de vous) …

Mais concernant Taromaru, autant dire les choses d’emblée, force est de constater que l’on est devant une des perles rares méconnues de la génération 32 bits. Pourtant, rien ne prédestinait l’éditeur éphémère Time Warner Interactive (1994-99), qui n’avait jusque-là pas vraiment brillé par ses productions (on lui doit notamment le portage un peu fainéant de Virtua Racing sur Saturn), à sortir l’un des titres majeurs de cette génération. Mais c’était sans compter sur le recrutement au sein du studio d’un certain Hiroshi Iuchi, fraîchement débarqué de Treasure.

Hiroshi Iuchi

Le designer derrière Gunstar Heroes et Alien Soldier, excusez du peu, va être le fer de lance du développement de Taromaru, avant qu’il n’officie sur Radiant Silvergun (l’analogie graphique avec Taromaru saute d’ailleurs aux yeux), Ikaruga et Sin & Punishment… Oui, on est tout simplement face à l’un des plus beaux CV de l’histoire du jeu vidéo japonais des années 90. Disparu des radars après avoir officié sur le fabuleux Gradius V, il travaillerait depuis plus de 10 ans sur un nouveau shoot’em up développé par M2 intitulé Ubusuna.

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Une vitrine technologique de la Saturn
 

Les développeurs menés par Iuchi-san ont parfaitement su utiliser les deux VDP de la Saturn en combinant des sprites 2D de grandes tailles parfaitement animés et au design particulièrement racé avec des décors 3D qui fourmillent de détails, l’occasion de créer de jolis effets de mise en scène en jouant avec la caméra. Ici le décor se met à légèrement pivoter pour appuyer la sensation de profondeur, là ce sont des changements d’angle à 90° au détour d’une rue, ou sur le toit d’un temple qui viennent casser un rapport linéaire à l’espace, sans parler de certains combats de boss où l’écran peut être amené à pivoter à 360°, créant des effets de rotation saisissants.

Sur le plan technique, on est tout simplement devant un « proof of concept » de la Saturn qui donne à voir ce qu’elle peut faire de mieux en alliant le meilleur des mondes de la 2D et la 3D. Taromaru est donc l’un des plus beaux jeux de la Saturn aux côtés de Grandia, Radiant Silvergun (encore lui) ou Panzer Dragon Zwei (qui mélange en réalité lui aussi de très nombreux éléments 2D et 3D). On pourra juste lui reprocher l’absence de quelques effets de transparence remplacés par l’effet de trame, malheureusement caractéristique de la Saturn, sur les barres de vie, les ombres, les rivières que l’on traverse plusieurs fois… Mais les effets de brume, le reflet des flammes dans l’eau, les effets de déformation (le ciel contre le boss final !), les différents plans de décor en parallaxe, les vfx d’explosions, tout concourt à proposer un festival d’effets spéciaux plus ou moins pyrotechniques qui flattent grandement la rétine.

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Entre tradition et euh… tradition
 

On ne s’attardera pas sur le scénario assez minimaliste du titre - dans un japon féodal et fantastique, Taromaru, un mercenaire ninja, est mandaté pour retrouver une jeune femme enlevée par des entités démoniaques ; aidé de son acolyte le moine shinto Enkaï, il part la sauver - pour se concentrer sur ce que le titre propose sur le plan esthétique.

La direction artistique du titre nous plonge dans un univers des plus matures aux couleurs plutôt sombres qui n’est pas sans rappeler les « ninja game » classiques. On peut ainsi avoir l’impression de prime abord d’être face à une sorte de Shinobi ou de Ninja Gaiden, mais c’est en réalité plus du côté de Mystic Defender (et sa préquelle Spellcaster) et de Kenseiden ou du plus récent Muramasa que l’on trouvera des références communes avec l’utilisation notable d’un panthéon de monstres issu du folklore japonais. C’est ainsi tout le bestiaire des Yokais composé entre autres d’Oni maléfiques ou de Yurei éthérés qui est convoqué pour affronter notre ninja Taromaru : ici un Gashadokuro (squelette gigantesque) se prenant pour Godzilla, là un Ogama (crapaud géant) qui gobe tout sur son passage, des nuées d’Obara (feu spirituel de personnes décédées) virevoltant dans un joli ballet enflammé, le fameux Kitsune à 9 queues ou encore une Ogumo, sorte de centaure arachnide géant et sanguinaire…

Cependant, les ennemis humains sont aussi de la partie avec la palette classique de ninja, kunoichi et autres prêtres shinto en lévitation… La patte graphique du jeu très travaillée, la représentation de ces monstres aux corps décharnés et aux membres disproportionnés, les explosions sanglantes et viscérales qui ponctuent les attaques, renforcent son ambiance globale portée par une OST des plus réussies qui nous plonge dans ce Japon médiéval fantastique tout à la fois poétique et lugubre, si caractéristique d’œuvres modernes à grand succès tel que Sekiro ou Otogi avant lui…

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Alisia Dragoon 2 ou Sekiro 0 ?
 

En termes de système de jeu, Taromaru rappelle là aussi par son apparence la grande tradition des « ninja game » avec en premier lieu Shinobi, déjà cité au-dessus, mais on peut aussi penser à Castlevania ou Rygar en le regardant rapidement. Mais c’est en réalité d’un autre jeu culte de la ludothèque de la Mega Drive que Taromaru semble tirer sa principale inspiration. Son système de lock et de tir automatique, assez déstabilisant en premier lieu, semble en effet tout droit sorti de Alisia Dragoon de Game Arts. On n’est donc ni dans un beat’em all avec l’absence d’attaques au corps à corps, ni dans le run & gun / « ninja game » avec l’impossibilité de tirer vers l’ennemi de manière classique à l’horizontale. Le système de jeu peut d’ailleurs initialement sembler assez brouillon et peu intéressant. Dès qu’un ennemi s’approche de l’avatar du joueur, un viseur s’aimante dessus et il suffit d’appuyer sur le bouton tir pour qu’un sort électrique l’atteigne directement. Dit comme cela, on pourrait se demander où réside la dimension performative du titre et le plaisir du challenge qu’il peut procurer. Par ce système, on pourrait croire que le titre favorise a priori du « button mashing» intense et dénué d’intérêt. Et pourtant, si on creuse un peu, le gameplay révèle rapidement toute sa richesse, tout en démontrant au passage que le titre est beaucoup plus adapté à un stick arcade ou à minima au « pad 3D » permettant de jouer avec les doigts de la main droite posés sur la manette (et non le pouce).

On passera rapidement sur une feature particulière du titre qui permet de prendre le contrôle d’un ennemi. Cette mécanique assez anecdotique transforme un adversaire en un bot de soutien qui a le mérite de détourner l’attention de certains ennemis, de donner quelques (rares) coups et qui peut aussi être sacrifié en générant une explosion. L’intérêt de cette mécanique est assez limité, d’autant qu’il est parfois fastidieux et agaçant de concentrer le pouvoir permettant cette « prise de contrôle », en s’exposant aux attaques, sans qu’on arrive à ses fins du premier coup.

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Les avatars proposés disposent d’une même palette d’actions de déplacement assez classique (s’accroupir, glisser (pratique pour se sortir rapidement de certains situations), sauter, s’accrocher à une poutre), ce qui le rend assez agréable à manipuler. Les commandes répondent bien et le tout est assez nerveux pour répondre à l’exigence du titre. Le système d’attaque est donc basé sur un lock automatique des ennemis. On ne peut pas directement viser et choisir ce qui va être locké initialement, mais de manière générale, c’est l’entité la plus proche qui se retrouve lockée, puis on peut ensuite utiliser les gâchettes pour switcher entre les différents ennemis. Autre subtilité importante, le tir peut être concentré ce qui le rend particulièrement puissant. Cela permet généralement de tuer en un seul coup un ennemi de base, de démembrer partiellement un adversaire un peu plus conséquent ou de détruire une nuée enflammée d’Obara, générant une réaction en chaîne d’explosions bleutées des plus satisfaisantes pour le joueur. Il faudra donc jongler intelligemment entre le tir de base et le tir concentré qui rend l’avatar assez vulnérable durant la période de charge (on ne peut pas tirer en se déplaçant).

Mais l’ultime subtilité du titre, qui le rapproche, toutes proportions gardées, d’un Sekiro, réside dans sa mécanique de parade/esquive. Le bouton situé au-dessus du bouton tir (le « Y ») dans la configuration initiale génère une sorte d’aura protectrice autour de l’avatar pendant quelques frames. C’est en maîtrisant cette compétence que le jeu prend toute son ampleur. Se rapprochant par moment d’un rythm game, il s’agira donc de faire feu de tout bois en tirant dans tous les sens sur tous les ennemis tout en déclenchant régulièrement une parade au moment opportun. Le joueur réalise ainsi une chorégraphie articulaire assez intéressante sur le plan haptique en sautant régulièrement d’un bouton à l’autre pour alterner les phases d’attaque et de défense. Cette aura a aussi la particularité de suspendre l’avatar dans l’espace. Concrètement, en l’utilisant lors d’un saut, l’avatar peut rester suspendu en lévitation, ce qui peut être crucial pour éviter certaines attaques horizontales qui traversent tout l’écran.

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Lorsque le joueur finit par maîtriser toutes ces compétences, l’expérience de jeu en devient particulièrement intense et exigeante tout en étant très gratifiante. Contre certains boss où l’écran est fixe, le jeu de déplacement assez classique pour éviter des attaques ennemies laisse place à une manipulation exclusive des inputs d’attaque / défense assez originale où la réussite du joueur repose surtout sur la maîtrise des timings inhérents aux attaques ennemies.

Alors tout n’est pas parfait, à trop vouloir proposer des situations de jeu variées, le titre se perd parfois dans des séquences moins inspirées (le passage en wagonnet dans la mine, ou celui avec la bulle roulante ( ?) qui entoure l’avatar), mais avec son mode deux joueurs, sa réalisation de haute volée, son gameplay ciselé et son ambiance à nulle autre pareille, Taromaru est bien un titre exceptionnel qui encore aujourd’hui, plus de 25 ans après sa sortie est encore particulièrement agréable à jouer.

Verdict

8

Points forts

  • Une réalisation exceptionnelle
  • Une ambiance exceptionnelle
  • Un gameplay original, exigeant et parfaitement maitrisé
  • Un mode deux joueurs

Points faibles

  • Quelques effets de trame
  • Une durée de vie assez courte sur le premier run… mais on y revient juste pour le plaisir.
  • Quelques séquences en dessous (wagonnet de la mine, bulle roulante…)
  • La mécanique anecdotique de contrôle des ennemis
  • Son prix

Commentaires

Comme l'article l'affirme, c'est un titre à faire sur Saturn et si le prix aboutissant de l'occasion vous l'empêche, passez par un repro, y a pas de honte. :)
Génial, un jeu que je ne connaissais pas du tout. Et lire des références comme Otogi, ou Mystic Defender (que j'adore ce jeu....) en plus des autres, donnent sacrément envie d'y toucher.
Merci pour la découverte et ce test. Reste plus qu'à le trouver pas cher quand j'aurais la chance d'aller au japon (un jour, un jour...)
aalok, 01 Mar 2024 - 6:40
même au Japon tu ne le trouveras pas à un prix correct, donc faut pas hésiter à passer par une copie ou de l'émulation.

Content de te l'avoir fait découvrir en tout cas !
aalok, 02 Mar 2024 - 2:19
La bonne blague...
En plus la jaquette est pas ouf. T'as même pas la gratification d'une cover qui déchire sur ton étagère.
Quand il sera traduit je me prendrai un beau custom :)
Ça donne carrément envie !!!
Faudra que je regarde en boutique (pas pour l'acheter :p) mais je n'ai pas souvenir de l'avoir vu ces dernières années^^