Le dernier jour du SEGA GIGO d'Ikebukuro
Le 24* juillet 1993, ouvrait à Ikebukuro l'une des salles les plus emblématiques de SEGA.
Alors oui, d'autres peuvent elles aussi se vanter de cela, reste que, rares sont les fans de la marque venus à Tokyo à avoir fait l'impasse sur ce game center, qui représentait un passage quasiment obligatoire.
*J'en vois déjà certains me tomber dessus en me disant « mais c’était le 21 juillet son ouverture qu'est-ce que tu racontes ! »
Alors effectivement, SEGA a communiqué la date du 21 juillet 1993 comme on peut le voir sur le gros panneau qu'arborait la salle avant sa fermeture par exemple.
Sauf que, en fouillant dans le journal « Game Machine » d’époque à destination des professionnels, il indique la date du 24.
Qui dit vrai ? Sûrement SEGA parce que bon, c'est un peu de leur propre salle dont il est question... mais le 21 juillet 1993 tombait un mercredi, et donc, le 24 un samedi, jour bien plus propice à une ouverture.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que la vraie ouverture au public est le 24 et que le 21 était soit la date officielle du début de l'exercice de la salle, soit elle n'a accueilli que des professionnels comme la presse durant les trois premiers jours.
Il est probable qu'au final, personne ne se trompe, juste qu'il y a une interprétation différente des dates (supposition de ma part, je n'affirme rien).
Sauf précision contraire, toutes les informations d’époque proviennent du journal Game Machine en date du 15 septembre 1993 pages 10 et 11 à destination des professionnels.
Celle qui se nommait jusqu'à sa fermeture le 20 septembre 2021 à 20h la SEGA Ikebukuro GIGO était en fait la seconde salle à porter cette appellation.
En effet, un an avant, en septembre 1992, avait ouvert dans le quartier de Roppongi le tout premier GIGO (qui a disparu depuis bien longtemps).
Quelques autres salles porteront ce nom comme par exemple celle d'Akihabara elle aussi fermée...
D'ailleurs, aussi triste que cela puisse être, le terme GIGO est désormais de l'histoire ancienne, plus aucune salle ne porte ce nom.
Et pourquoi ce nom ? Alors que d'autres salles peuvent se nommer SEGA World, Club SEGA ou encore High-Tech SEGA ?
D'ailleurs le mot GIGO, ça veut dire quoi en fait ?
Comme on peut le lire dans le SEGA Magazine numéro 7 de 1997 page 34, il s'agit d'un néologisme venant des mots anglais GIMMICK et GOD (ne pas confondre avec le terme informatique garbage in, garbage out).
On peut le traduire par « le créateur du divertissement ».
Les noms ne sortaient pas au hasard et je suppose que chacun avait une raison d’être.
Dans le cas de GIGO le concept était simple, ces salles se destinaient surtout aux adultes en étant le top level en proposant non seulement des machines de jeux derniers cris, mais aussi de la restauration ainsi que du karaoké (voire plus).
La salle à son ouverture
C'est donc en 1993 que cette salle s'est installée dans un grand bâtiment au bord de la très animée Sunshine 60 Street dans le quartier d'Ikebukuro (Tokyo).
D'ailleurs, on désigne ce bâtiment comme étant le GIGO mais ça, c'est le nom de l'enseigne, l'immeuble lui, porte un tout autre nom, le TECH 35.
La configuration de l’époque était très différente de celle de 2021.
SEGA y occupait les huit étages plus le B1, donc neuf au total (attention, le RDC français est le 1er au Japon, pour la suite, je parle en étage japonais pour éviter de s'embrouiller).
Le huitième était réservé aux bureaux mais pas que, la moitié de cet espace était un... parking à vélo ! Il s'agissait d'une directive de la ville Tokyo.
Cela fait donc que les huit autres étages (en incluant le B1 donc) servaient au divertissement pour une surface totale de 3400 m².
Pour le détail, avant que SEGA s'y installe, le bâtiment accueillait un pachinko et un magasin de produits électroniques discount ainsi qu'un izakaya au B2.
Cet izakaya existait encore lors de l'ouverture de la salle.
Le montant de l'investissement total, bien qu'inconnu, était inférieur à celui de la salle de Roppongi, et SEGA prévoyait pour la première année un chiffre d'affaire d'environ 2 milliards de yens (environ 16 millions d'euros sans tenir compte de l'inflation).
Visite des étages version 1993
-Du sous-sol au second, l'espace était consacré aux machines d'arcade/amusement.
Le B1 c’était une cinquantaine de bécanes type Astro City.
Le premier lui, se la pétait grave avec 4 énormes bornes Virtua Formula !
Ainsi que Dream Palace (un énorme ufo catcher pour 8 personnes), pour un total de 30 machines.
Le second proposait des bécanes type sport/carnival avec ici aussi une trentaine d'entre elles.
Le tarif des parties était de 100 yens, sauf Virtua Formula qui lui était à 500 yens.
-Les troisièmes et quatrièmes c’était medals game.
Une dizaine de machines permettaient d'accueillir un grand nombre de joueurs comme Royal Ascot Special avec ses 17 joueurs, réplique d'un hippodrome avec ses chevaux se déplaçant comme en vrai.
En comptabilisant les autres medal game plus classiques, il y en avait environ une centaine plus une dizaine de flippers.
Les medals coûtaient bien plus cher qu'aujourd'hui ! Trente yens pour un seul jeton, bref, avec 500 yens on en recevait seulement 17.
-Pour les trois derniers étages, on change d’ambiance.
Le 5è nous propulsait dans un monde pour adulte avec son casino et son bar.
Ce n’était pas moins de deux roulettes et quatre tables de blackjack ainsi qu'un bar avec 16 places qui nous y attendaient.
Il y avait aussi un coin divination avec cinq salles et autant de voyants.
Quant aux 6è et 7è étage, ils servaient au karaoké avec 25 salles plus une party room de 40 places.
Les horaires variaient en fonction des étages.
Du B1 au quatrième : 10h → 24h
Le cinquième : 15h → 24h
Les six et septième : 11h → jusqu'au lendemain matin 5h
Le staff était particulièrement nombreux avec 18 CDI et pas moins de 150 baitos qui faisaient tourner la boutique.
Il faut savoir que dans cette zone, il n'y avait semble-t-il qu'un seul autre game center tenu par Sigma, le Game Fantasia Sunshine ouvert en 1985 à seulement 70 mètres du Gigo.
Un mois après l'ouverture du géant SEGA, Sigma ne déplorait aucune baisse de fréquentation et les résultats étaient conformes aux prévisions.
Ils expliquaient cela par le fait que les deux salles n’étaient pas sur le même créneau et que plutôt que de partager la clientèle, elle en apportait une nouvelle.
Même son de cloche de la part du gérant du Gigo de l’époque, Takeshi Yoshimoto, tout en précisant que la fin des vacances d’été allait peut-être changer la donne.
Donc ça c'est pour les débuts de la salle.
Au fil des années elle a subi de nombreuses transformations, aussi bien au niveau de la façade qu'au niveau de l'agencement intérieur.
Dans le numéro 12 du magazine Game Walker d'octobre 1995 on peut voir un petit encart concernant la salle.
On y apprend qu'un samedi par mois, un tournoi Virtua Fighter 2 était organisé afin de déterminer le niveau/dan des joueurs.
Au second étage du GIGO se trouvait l'un des dix-sept Virtua Fighter Dojo du pays.
Vingt joueurs pouvaient y prendre part moyennant une participation de 500 yens la première fois puis 100 yens les suivantes.
La compétition se faisait sur des machines avec des écrans de 50 pouces dans le mode spécifique pour déterminer le dan.
Les valeureux combattants réussissant l'obtention d'un dan se voyaient récompensés en ayant leur nom sur une plaquette en bois comme le veut la tradition dans les arts martiaux (vous avez fait Shenmue 3 par exemple ?).
Sur la photo on peut les distinguer au-dessus des bornes.
Le 13 juin 1998 avait ouvert un espace Sakura Taisen, le « Taisho Romando ».
Je peux aussi vous la décrire (très simplement) en me basant sur mes quelques souvenirs.
En 2004, lors de mon premier voyage au Japon, la salle avait sa belle devanture jaune ultra voyante.
Je n'ai aucune photo perso (oui je sais...) mais je suis certain d'avoir vu au premier (le RDC je rappelle) F-ZERO AX, preuve que le jeu pur et dur restait important.
Mais déjà en 2013, quand je suis venu habiter ici, la salle ne proposait plus que des ufos catcher au premier et au B1...
Le second lui, partageait son espace avec des machines pour les enfants et des jeux musicaux avec beaucoup de Project Diva et Maimai au début ou encore le Luigi's Mansion vers 2015 il me semble.
Mais au fil du temps, cet espace a diminué, les jeux musicaux sont partis plus haut, et ceux pour les enfants ont été déplacés dans le fond pour faire de la place aux ufos catcher.
Et malheureusement par la suite, les derniers survivants ont disparu et les ufos ont pris 100% de l'espace...
Mais qui blâmer ? De mon point de vue personne, les tenanciers doivent être dans le vert et prennent les décisions qui semblent les meilleures économiquement parlant.
Les joueurs évoluent, changent, on n’est plus dans les années 90 avec des moyens moindres pour se divertir, faisant que les game centers étaient incroyablement attractifs.
Je ne pense pas qu'ils vont disparaître, juste diminuer et certains se spécialiser dans un genre précis comme le retro (dans l’idéal) ou dans les ufos catcher (le cauchemar).
Mais d'ailleurs, pourquoi ce GIGO a-t-il disparu ? Et bien contrairement à ce que beaucoup prétendent, ce n'est pas par la faute du coronavirus.
Le contrat du bail a pris fin, et le propriétaire souhaite rénover le bâtiment, et comme le responsable de la salle l'a dit lors de la cérémonie (en fin de vidéo disponible plus bas), il ne s'agit en aucun cas d'une capitulation face au virus.
Que va devenir le bâtiment ? Si c'est une rénovation, pourquoi SEGA ne pourrait pas y reprendre ses quartiers ? Un autre locataire va t'il allonger plus de billets ? Et si c'est une destruction que va t'il y avoir à la place ? Et pourquoi de na pas aller dans un autre bâtiment ?
Autant de questions auxquelles le temps devrait peut-être apporter des réponses.
Un dernier jour ensemble
Le lundi 20 septembre (jour férié), était donc l'ultime jour pour la salle.
On aurait pu avoir un temps pluvieux reflétant mon humeur du moment mais non, on avait un grand soleil comme pour faire briller une dernière fois ce lieu mythique.
La salle arborait un grand panneau nous remerciant pour ses 28 ans d'existence.
Un autre résumait les principaux événements durant ce laps de temps, la sortie de la Saturn est dans la liste mais pas la Dreamcast... :toussefort:
D'ailleurs, vous ne voyez pas un truc bizarre ? Tout en bas à droite avec le 202X ? Pour la petite histoire, un ex game center juste en face semble en travaux, pur hasard ?
Et le compte Twitter d'AM-NET qui parle justement de ça dans un tweet laisse songeur...
D'autres encore montraient la salle dans ses différentes versions, celle de 1993 était... originale ?
Au premier coup d’œil, la version 1998 semblait assez proche de celle que nous connaissions mais en regardant bien on peut y voir de nombreuses différences.
2003 est certainement celle que j'aime le plus, mais la nostalgie doit jouer son rôle dans mon point de vue.
Ce n’est pas forcément le look le plus « SEGA » qui soit mais ça en jette !
Dans l’entrée, le mur était recouvert de messages que SEGA avait récoltés sur Twitter.
La porte de l'ascenseur, ainsi que les t-shirts du staff avaient aussi le gros message de remerciement pour les 28 années d'exercice.
On avait des coins pour déposer des messages sur un post-it, comme toujours certains se distinguent avec de beaux dessins (mon message se cache quelque part, un indice, mon écriture est dégueulasse :p ).
Sonic est venu faire un dernier coucou...
Et cet écran géant avec le compte à rebours qui fait mal.
Il y avait aussi des sacs spéciaux pour les prize game, le staff a distribué le restant avant la fermeture.
Voilà, on y arrive. C'est les préparatifs pour la cérémonie d'adieu.
Un monde assez fou devant la salle !
10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1...
Une fois ce terrible décompte terminé, le gérant de la salle prend le micro pour remercier tout le monde.
Sans pour autant être larmoyant, son discours était simple et touchant.
Lorsqu'il eut fini, il plaisanta en nous disant de vite partir avant que la police arrive :D
Rideau fermé...
28 ans d'une belle histoire que se termine.
Vous pouvez revivre cette ultime journée avec notre vidéo pleine d'amour :
Et si vous souhaitez visiter ce lieu, il vous reste la version virtuelle qui a été mise à disposition afin de ne pas l'oublier, belle initiative :
Je sais bien que beaucoup vont dire que de toute façon, la salle n'avait presque plus d’intérêt. Bien que je ne partage pas cet avis, je ne peux nier le fait qu'elle avait perdu de sa superbe.
Mais reste que j'y ai plein de souvenirs, des centaines d'heures de jeu, mes tests de Project Diva, SWDC, Initial D ZERO ont en grande partie été faits là-bas, et au final, j'avais un attachement particulièrement fort.
Et je suis vraiment, mais vraiment très triste que la salle dans laquelle j'ai passé le plus de temps durant 8 ans disparaisse.
Merci pour toutes ces années mon GIGO, je t'aime.
Sources :
Game Machine numéro 457 du 15 septembre 1993
Game Walker numéro 12 d'octobre 1995
SEGA Magazine numéro 7 de 1997
Twitter SEGA Japon
Twitter SEGA Ikebukuro
Merci pour ce riche article.
Ps : les 90s me manquent...
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À qui le dis-tu, purée.
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Les photos sont géniales.
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Bon ok je rêve.
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Merci.
J'espère aller au Japon avant que les d'arcade ne disparaissent.
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