Revue de presse : Console Wars, de Blake J. Harris
N.B : cette critique concerne la version originale américaine du livre. Si le fond de la version française est évidemment le même, la qualité de la traduction peut influer sur la qualité de l'expérience de lecture.
Si les ouvrages en langue française sur SEGA ne sont pas légion, il en va autrement outre-atlantique, où la Genesis a connu un succès retentissant, malgré le quasi-monopole de la NES pendant la génération précédente. Ecrit par Blake J.Harris, Console Wars relate l'épopée de la 16 Bits de SEGA au pays de l'Oncle Sam, du point de vue de ceux qui ont contribué à son succès : Sega of America (SoA), et plus particulièrement Tom Kalinske.
Grâce à une série d'entrevues et de témoignages, le livre raconte la renaissance de SoA, ses stratégies marketing centrées autour du côté "rebelle" de la marque, à l'opposé d'un Nintendo désigné plus "enfantin", les choix éditoriaux parfois osés, les accrochages avec Sega of Japan (SoJ), et plus généralement l'ascension de la Genesis en tête du marché du jeu vidéo, avant la débandade du Mega-CD, du 32X, puis de la Saturn.
Cela dit le livre n'a pas de valeur documentaire : de l'aveu même de l'auteur dès la préface, les événements ont été quelque peu romancés : certaines conversations s'étalant sur plusieurs jours ont été condensées en une seule, des rendez-vous téléphoniques ont été transformées en rencontres en tête-à -tête, et globalement, la chronologie a été condensée pour faire de Console Wars quasiment une oeuvre de fiction.
Al Nilsen (gauche), Shinobu Toyoda (centre) et Tom Kalinske (droite)
C'est à la fois le point fort et le point faible du livre : s'il est passionnant en tant que roman, et à ce titre est un véritable "page turner", le choix de ne donner que le point de vue des acteurs américains de l'époque en fait automatiquement un ouvrage biaisé, d'autant plus qu'on sent que l'échec des successeurs de la Genesis ont laissé les employés de SoA très amers. Si le schéma narratif fait naturellement de la bande d'underdogs de SoA les héros de l'histoire, et de Nintendo l'antagoniste arrogant et sûr de sa force, le vrai "méchant" est plutôt SoJ, composé de personnes butées et jalouses de leur branche occidentale, qui semble avoir pour sacerdoce de leur mettre des bâtons dans les roues, quitte à aller à l'encontre des intérêts supérieurs de la compagnie.
Évidemment, si on ne peut nier que les choix stratégiques de SoJ concernant les périphériques de la MD, et la gestion de sa fin de vie, sont pour le moins contestables, l'absence de témoignage de membres de l'équipe japonaise manque vraiment pour rétablir un semblant d'équilibre, ou du moins pour apporter un peu de nuance au propos. Ceci dit, malgré ce biais, et le côté hagiographique du portrait de Kalinske, ce dernier n'en sort pas forcément grandi.
Transfuge de chez Mattel, Kalinske semble ne jamais avoir porté plus d'intérêt aux jeux vidéo que ce que sa fonction nécessitait. Il se montre hostile à l'évolution du média portée par des titres comme Mortal Kombat ou Night Trap, n'hésite pas à éditer des jeux médiocres tant qu'il est convaincu qu'il peuvent se vendre, et fait preuve non seulement d'une arrogance assez impressionnante (qui cependant peut se justifier par le réel succès de sa stratégie), mais surtout d'une réelle mauvaise foi. Le déguisement de l'équipe en bagnards lors d'une fête d'Halloween, censé signifier que SoA est prisonnier de SoJ, est assez malvenu alors même qu'on ne cesse de nous dire à quel point Kalinske a eu les mains libres pendant des années, même lorsque Nakayama était personnellement opposé à ses idées.
L'édition française.
Surtout, malgré tous ses efforts pour dépeindre Kalinske comme un excellent commercial - ce qu'il était sans aucun doute - il permet surtout d'entrevoir une des raisons pour lesquelles la Saturn s'est plantée aux USA, dans des proportions bien plus importantes qu'au Japon, ou même en Europe : à force de vouloir vendre des Genesis à des boutonneux, Kalinske a oublié de vendre la marque, et la qualité SEGA, au grand public. Et tandis que les Japonais se jetaient sur Virtua Fighter, les possesseurs de Genesis, qui n'avaient aucun affect pour SEGA, s'en retournaient vers Nintendo, puis Sony, une fois leur crise d'adolescence passée.
S'il ne faut absolument pas prendre les événements racontés dans Console Wars pour argent comptant, il apporte cependant de vrais éléments de réflexion sur l'ascension et la chute de SoA lorsqu'on s'applique à lire entre les lignes. Et bien que le style laisse franchement à désirer - en anglais du moins, et malgré certains trous béants dans sa narration, il n'en reste pas moins un ouvrage vraiment intéressant, ne serait-ce que pour la qualité de son storytelling.
L'édition originale américaine, préfacée par Seth Rogen, est franchement moche - ce qui n'est pas très grave, l'iconographie étant maigre et sans intérêt - mais vraiment peu chère. Pour les anglophobes et les amateurs de beaux livres, sa traduction française est disponible chez Pix'n Love dans une très belle - mais assez onéreuse - édition.
Version originale :
Console Wars - Sega, Nintendo, and the Battle that Defined a Generation
Blake J. Harris
Editions Dey Street Books - 576 pages - 13,54 €
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Version française :
Console Wars - SEGA VS Nintendo : la Guerre qui a Bouleversé le Monde Vidéoludique
Blake J.Harris - Traduction de Laurent Jardin
Editions Pix'n Love - 2 x 300 pages - 39,90 €
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Commentaires
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Et ce passage explique pourquoi il n'y a quasiment aucun journaliste SEGA dans n'importe quel rédaction alors que Nintendo sur représenté dans celles-ci.
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En ce qui conce
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Imaginez aujourd'hui un des CEO de SEGA West agir de la sorte, pensez vous que Haruki Satomi laisserai faire ?
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Kalinske était effectivement super balaise (et je vous invite à voir l'épisode de The Toys That Made Us sur Barbie, dans lequel il apparaît), et il a réussi à peu près partout o๠il est passé, ce qui ne peut pas être un hasard. Mais il n'avait pas la vision du monde du jeu vidéo qu'il fallait pour pérenniser la marque SEGA auprès du public.
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Faire des beaux bouquins c'est top, mais lorsqu'il s'agit d'un livre de ce genre je me contente d'un truc plus simple.
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