Interview : Hideki Satô parle de la Mega Drive

Sonic the Hedgehog

Bien qu'elle fasse plus jeune que son âge, notre merveilleuse Mega Drive vient malgré tout d'avoir 30 ans. Et comme on l'adore, on n'en finit plus de le lui fêter !
Ne nous lassant pas de lire les histoires la concernant, nous vous proposons la traduction d'une interview toute fraîche puisque publiée dans le dernier Famitsu en date (le numéro 1561 du 1er novembre 2018) !
Sans vous promettre les suivantes aussi vite, on se donne quoiqu'il arrive rendez-vous prochainement pour la suite !
Bonne lecture en compagnie de l'ancien président de SEGA, Monsieur Hideki Satô qui nous parle un peu de la naissance et vie de la 16 bits.

Famitsu : Entre l'avant et l'après Mega Drive, la direction prise dans le développement des hardwares semble avoir radicalement changé ; dans un premier temps, pouvez-vous nous dire quel fut le concept de la Mega Drive durant le projet ?

Hideki Satô : Pour faire simple, nous voulions faire une machine capable de vaincre Nintendo.
En 1983, notre première console de salon, la SG-1000, s'était vendue à 160 000 unités. Il s'agissait d'un chiffre incroyable pour SEGA jusqu'alors habitué à fabriquer et ne vendre au mieux que quelques milliers de ses machines d'arcade. Et pourtant, cela ne faisait absolument aucune ombre à la Famicom mise en vente le même jour...
Le personnel de SEGA avait été mobilisé dans les magasins afin de servir les clients, mais ils ne pouvaient que constater de leurs propres yeux la quantité astronomique de Famicom vendues. Sur 10 clients, environ un seul achetait la SG-1000.

Famitsu : Comment analysez-vous cette différence ?

Hideki Satô : Je pense que la différence venait des jeux. Pour être honnête, les titres SG-1000 n'étaient pas très bon.
Tout simplement parce que, dans la société, les jeux console étaient vus comme une sorte de bonus. Les équipes de développement ne s'étaient pas vraiment bougées.
Nous n'avions pas d'autre choix que de commander des jeux ailleurs, mais atteindre le niveau de qualité de Nintendo était impossible.

Famitsu : Et c'est pour cette raison que vous avez voulu faire des jeux donnant entière satisfaction sur le prochain hardware ?

Hideki Satô : Oui. C'est grâce à la SG-1000 que nous avons pu prendre conscience du business possible dans le domaine des consoles de salon. Pourtant, dans la situation de l'époque, pour la génération suivante, faire d'un coup des nouveaux titres solides était particulièrement difficile. On s'est donc dit que les jeux d'arcade à succès pourrait parfaitement être amusants en l'état, et on a commencé le développement de la nouvelle machine comme cela.

Famitsu : D'accord.

Hideki Satô : Toutefois, il fallait un hardware 16 bits pour supporter les conversions arcade. On avait embarqué le processeur 16 bits MC68000 comme les machines d'arcade mais... c'était cher.
Juste pour ce composant, le prix de la machine explosait, et nous avions donc le souci d'une console de salon bien trop cher.

Famitsu : La Mega Drive ne donne pas l'impression d'avoir été un hard aussi cher pourtant...

Hideki Satô : En vérité, on nous les a vendus environ un dixième du prix, il y a eu des négociations avec l'autre partie concernée. On leur a dit, " si vous nous les vendez ce prix, on vous en prend 300 000 en une fois ", et " si on se débrouille bien, vous pourrez nous en vendre peut-être 500 000, voire 1 million ", avons-nous soutenu, et la négociation a pu réussir.

Famitsu : Il y a eu ce genre de chose dans les coulisses durant le développement de la Mega Drive !

Hideki Satô : Oui. On a pu contenir le prix de revient, en tant que console de jeu, ce qui nous permettait d'avoir des perspectives. Et c'est à ce moment qu'on a eu de nouveaux désirs... On ne voulait en aucun cas que la Mega Drive soit une simple console de jeu. Il fallait, dans les limites du possible, qu'elle puisse accueillir les nouveaux media suivant la demande, on l'a donc équipé de diverses connexions pour des périphériques.

Famitsu : Vous aviez visé juste.

Hideki Satô : A l'époque, lorsque j'ai vu la PC Engine opter pour le CD-ROM à la capacité hors normes, j'avais la conviction que la demande pour ce media allait bondir sous peu.
Pour la petite histoire, concernant le port cartouche, son design en rond bombé vient directement de l'image du CD-ROM.

Famitsu : C'est la première fois que j'entends parler de cela concernant le design.

Hideki Satô : On a aussi essayé un système de karaoke comme c'était la mode, ou encore pensé à un système de sauvegarde avec un lecteur de disquette… On voulait que la machine puisse répondre à nos différentes demandes, c'est pour cela qu'on a gravé dessus " AV INTELLIGENT TERMINAL " et " HIGH GRADE MULTIPURPOSE USE ".

Famitsu : Effectivement, je me souviens avoir vu cela dès le premier modèle !

Hideki Satô : Parmi tout cela, nous avions mis l'accent sur la communication. Nous avions pensé mettre un modem pour affronter les personnes tout en étant éloigné... Bon, aujourd'hui c'est devenu une évidence (rire).

Famitsu : C'était un projet qui se tournait vers l'avenir, et en prenant en compte ces capacités, la Mega Drive était une machine en avance sur son temps. La Super Famicom a été mise en vente 2 ans après en 1990, mais la Mega Drive donne l'impression d'avoir l'avantage sur les capacités de base.

Hideki Satô : Effectivement. Toutefois, je me demande si être le premier est une bonne chose ou non. Quoiqu'il arrive lorsque vous sortez une machine après l'autre, elle donne toujours l'impression d'être supérieure aux yeux des gens.
Mais si SEGA avait eu une puissance de vente comparable à Nintendo, en sortant la machine en premier nous aurions pu prendre une avance considérable. Mais malheureusement, à ce moment, nous n'avions pratiquement aucune connaissance dans la distribution des consoles de salon. Et au final, Nintendo a pu faire une différence énorme.

Famitsu : En 1991, Sonic est devenu un hit mondial. Vous avez une anecdote marquante concernant cette période ?

Hideki Satô : Jusqu'à la mise en vente de Sonic, on voulait un jeu qui dépasse Super Mario, on a même travaillé sur un jeu dans une ambiance lui ressemblant beaucoup.
Au final c'était du réchauffé. Et nous n'avions pas pu dépasser l'original. Du coup, nous avons eu une approche complètement différente, misant sur la vitesse avec Sonic.
A l'époque, Al Nilsen, responsable marketing chez SEGA of America, s'était attaché au personnage. Il avait dit vouloir mettre tout le budget publicitaire dedans, De plus, il fit comme proposition de faire une publicité comparative.
Si au Japon, dire du mal de son concurrent est absolument inimaginable, là -bas, il s'agissait d'une technique beaucoup utilisée.
Au final, elle est devenue très populaire et Sonic est devenu un hit. Sans Al Nilsen, Sonic ne serait probablement jamais devenu un tel grand jeu.(cf notre critique du livre Console Wars)

Famitsu : Cette publicité audacieuse a porté ses fruits.

Hideki Satô : Oui. Si au Japon l'excitation fut modeste, en Amérique du Nord le jeu a même été inclus avec la console, et ce fut la première fois que la Genesis dépassait Nintendo en devenant numéro 1. C'était notre première victoire sur Nintendo (rire).
En voyant notre succès aux USA, des éditeurs tiers sont venus, nous avions le vent en poupe. Toutefois, si on regarde au Japon, nous étions à la lutte en arcade avec des grands développeurs comme Namco et Konami, et je ne sais pas s'ils s'y étaient investis de toutes leurs forces.
J'imagine que c'est une des principale raisons du manque de succès dans notre pays.

Famitsu : Il y a eu aussi ce genre de chose...

Hideki Satô : C'était une des facettes. Et peut-être que le fait que SEGA faisait énormément de jeux d'arcade a eu un effet néfaste. On s'occupait nous-mêmes des genres à succès en laissant les third party s'occuper du reste en quelques sorte. Tout comme Nintendo, il aurait été bien de ne se préoccuper que de nos propres jeux s'ils se vendaient bien... mais malheureusement les jeux SEGA n'avait pas cette force de vente.

Famitsu : Je comprends la difficulté que représente cet affrontement au Japon. Toutefois, ce fut une grande victoire aux USA, cela a dû être profitable non ?

Hideki Satô : Effectivement, on a fait du bénéfice. Mais...

Famitsu : Mais ?

Hideki Satô : Par la suite, nous avons eu un accord avec IBM Japon pour développer en commun un ordinateur ; le TeraDrive.
Les PC étaient chers et pourtant peu pratiques d'utilisation, Il fallait trouver un moyen de les démocratiser dans les foyers.
Avec le succès de la Genesis, SEGA fut désigné pour répondre à l'exigence d'inclure un système d'entertaiment afin d'attirer le jeune public potentiel sur PC.
Dans une des étapes du projet on pouvait lire " environ 200 000 yens pour une machine, si on en vend 1 million, cela représente 100 milliards de yens ! ", on avait un tel objectif, mais... ça ne s'est pas bien passé (rire crispé).

Famitsu : Pour développer ce TeraDrive vous avez donc utilisé une partie du bénéfice de la Mega Drive ?

Hideki Satô : Exactement. Il y a eu tout un tas de raisons qui se sont accumulées, et au final le TeraDrive ne s'est pas bien vendu. Et à cause de cet échec nous avons subit de lourdes pertes.

Famitsu : Alors que vous aviez pu faire du bénéfice avec la Mega Drive ! Mais en incluant cet épisode, on peut dire que c'est du SEGA tout craché... (rire).

Traduction/adaptation : VirtuaHunter
Correction/relecture : Shenron

Commentaires

Effectivement, du Sega tout craché.
Je les imagine bien comme un jeune adulte qui a eu son premier salaire et qui se retrouve à sec après 2 semaines :mrgreen:
chaz, 05 nov 2018 - 9:19
Merci pour la traduction.
En lisant des interviews et articles de cette époque, je me remémore pourquoi j'ai toujours préféré la mentalité SEGA et pourquoi il a été (et est toujours mais ça c'est par fanboà¯sme) pour moi le meilleur constructeur/développeur/éditeur de jeux vidéo
Excellente interview. La naà¯veté made in sega : si on en vend 1 million, cela représente 100 milliards de yens !
Comme disait l'autre : avec des si, moi je coupe du bois.