Test : Dracula Unleashed (Mega-CD)
S’ils sont aujourd’hui sujets de railleries, voire d’un certain mépris, les jeux en Full Motion Vidéo étaient pourtant largement considérés comme le futur du jeu vidéo, à l’époque de l’avènement du CD-Rom. Certains éditeurs ont déployé des moyens importants pour exploiter le support, et SEGA, avec son Sega Multimedia Studio, n’était pas en reste. Mais c’était aussi l’occasion pour des groupes de médias, déjà aguerris aux production audiovisuelles, de tenter de se diversifier. Ce fut le cas de Viacom New Media, qui, après Sherlock Holmes Consulting Detective, a produit ce Dracula Unleashed.
L’intrigue du jeu se déroule en 1899, dix ans après les évènements du roman Dracula, de Bram Stoker, et la mort supposée du vampire des mains de Quincey Morris, qui succombera à ses blessures. Son frère, Alexander, part à Londres pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort. Se faisant, il s’éprend d’une jeune femme, Annisette Bowen, qui devient sa fiancée, et est introduit au Hades Club, un établissement privé, fréquenté par son ami Arthur Holmwood, et par d’autres membres hauts en couleur. Mais l’Angleterrre a peur : plusieurs personnes sont retrouvées au petit matin, décapitées et vidées de leur sang, et même des animaux sont laissés exsangues, avec deux trous au niveau de la carotide. Au même moment, le père d’Annisette meurt d’une crise cardiaque, et son visage empli d’effroi laisse présager le pire...
Le déroulement du jeu est plutôt simple : l’enquête, qui se déroule sur quatre jours - si tout va bien - nous emmène aux quatre coins de Londres. On se déplace en calèche, en donnant l’adresse de notre destination au cocher, puis, une fois arrivé, une séquence vidéo se déclenche. Le temps ne s’écoule pas en permanence, mais chaque déplacement dure un certain temps, qui est indiqué sur une carte consultable à tout moment. Si vous allez quelque part trop tôt dans la journée, ou trop tard, vous pourrez trouver porte close, ou bien votre interlocuteur ne sera pas disponible. De la même façon, l’ordre de vos déplacements est important : vous pourrez obtenir de nouvelles adresses à visiter, et parfois on vous donnera rendez-vous à un moment précis de la journée.
Tu me soûles, Annisette !
On dispose également d’un inventaire, qui s’enrichit des objets reçus à l’issue de certaines conversations. Tous les objets reçus ne serviront pas durant l’enquête, mais il faudra impérativement en équiper certains, à des moments précis, pour faire avancer l’enquête. Par exemple, si vous voulez envoyer un télégramme, pensez bien à équiper la carte de visite du destinataire avant de vous diriger vers le guichet, sous peine de vous retrouver comme deux ronds de flan devant l’employé du télégraphe. Certains objets sont même indispensables à votre survie.
Être au bon endroit, au bon moment, avec le bon objet en main : ce sont les conditions d’une enquête qui se déroule sans accroc. Certains déplacements sont facultatifs, et l’ordre de certains n’est pas imposé, mais si à la fin d’une journée, vous n’avez pas déclenché les séquences critiques, vous vous ferez tuer au détour d’une allée mal éclairée par une créature de la nuit. Vous pouvez aussi rater certains éléments indispensables, et malgré tout continuer à avancer, au moins jusqu'au jour suivant, avant d'arriver à une impasse. C'est dans ces moments-là que les huit slots de sauvegarde trouvent leur utilité.
Malgré tout, ce dispositif est assez impitoyable, et on est quasiment obligé de se faire avoir lors des premières parties. On n’a pas toujours d’indication précise sur le moment de la journée pendant lequel se rendre à un endroit particulier (“Venez me voir à mon bureau cet après-midi”), et chaque aller-retour pour rien prend du temps, surtout si vous traversez toute la ville. Heureusement, certaines conversations vous aiguillent sur vos erreurs. Votre interlocuteur est présent, mais vous envoie paître car il n’a pas le temps de vous recevoir ? Vous avez du rater une étape avant, ou vous n’avez pas équipé le bon objet. On vous demande si vous êtes allé visiter quelqu’un, et vous répondez par la négative ? C’est mauvais signe. Évidemment, ça veut dire que votre partie est perdue, mais au moins vous avez un indice pour la prochaine. De plus, il est possible de sauvegarder à tout moment, et plusieurs slots de sauvegarde sont disponibles. Avec un peu de méthode, de jugeote et de chance, on finit donc par s’en sortir, et les séquences vidéo sont skippables, ce qui limite la perte de temps.
Plutôt Ed Wood que Coppola
Parlons-en, des séquences vidéo, car elles représentent le principal attrait du jeu, qui est parmi les premiers à les utiliser autant, avant Gabriel Knight et autres Phantasmagoria. Elles sont très nombreuses, et vous ne les verrez pas toutes en une seule partie. Il y a bien sûr celles qui sont sur le “chemin critique”, et qui sont indispensables pour faire avancer l’intrigue, mais aussi toutes celles qui changent selon certains des choix que vous faites, celles qui marquent un rendez-vous raté, ou qui sont purement accessoires et ne sont là que le plaisir. Au total, ce sont trois quarts d’heure de vidéos qui vous attendent, si vous tenez absolument à tout voir.
Et franchement, ça en vaut la peine. Car sans être un pur nanar, Dracula Unleashed s’en rapproche quand même d’assez près. Comme pas mal de jeux du genre, il dispose d’un budget très important pour un jeu vidéo, mais insuffisant pour une production audiovisuelle, surtout pour un récit situé à l’époque victorienne, et ce que ça implique en termes de décors et de costumes. Résultat : des décors nombreux mais assez vides, une caméra statique, une photo cheap, et des acteurs qui cabotinent à qui mieux mieux, à grand coups de mimiques exagérées, de roulage d’yeux, de rictus équivoques, bien aidés par des postiches en tous genres : barbes en crin de cheval, moustaches exubérantes, et même des rouflaquettes ! L’intrigue a beau se dérouler à Londres, quasiment aucun acteur n’est britannique, mais qu’à cela ne tienne : ils sortent tous leur meilleur accent british, prenant un air pincé et roulant les R à s'en claquer la glotte. C’est à la fois hilarant et assez touchant, car tout le monde met du cœur à l’ouvrage, ce qui n’est pas le cas dans toutes les productions FMV.
L’intrigue étant assez convenue, malgré quelques rebondissements dans la dernière partie du jeu, ce festival d’acting semi-amateur (un seul des comédiens a un semblant de carrière à la télévision) permet de maintenir notre intérêt, en plus de rendre l’entreprise assez sympathique. Il y a du cœur et de l’ambition dans Dracula Unleashed, même si les moyens alloués ne permettaient pas de faire des miracles. On est loin du cynisme des productions de American Laser Games par exemple.
My tailor is rich. Mouhahahahahahah !
Techniquement, le Mega-CD ne fait pas de miracles : la palette de couleurs est trop faible, et si l’image est lisible dans les scènes de jour, ça devient assez compliqué la nuit, et plus globalement dans les décors à faible luminosité. Cependant la fenêtre vidéo est assez grande, et on peut profiter de cette superproduction dans des conditions acceptables. Le vrai problème du jeu, qui en dissuadera beaucoup, est l’absence d’un doublage français, et même de sous-titres.
Il faut un niveau d’anglais solide pour comprendre tous les dialogues, surtout avec les faux accents utilisés par la moitié du cast. Heureusement, les notes prises dans le journal ingame résument en général bien la séquence vidéo qui précède, mais elles ne sont pas exhaustives, et de toutes façons c’est bien plus agréable de comprendre tout ce que disent les personnages ! Contrairement à la version PC, on ne peut pas revenir en arrière lors d’une séquence vidéo, seulement la rejouer entièrement, donc il faut être très attentif pour ne pas devoir se retaper une séquence en entier (même si elles sont courtes). C’est vraiment le plus gros défaut du jeu, dont l’interface est en général plus bien fichue : les icônes sont claires, les actions possibles peu nombreuses, et on peut à tout moment invoquer un petit tuto qui décrit (à l’oral... ) le système de jeu.
Sous ses airs de nanar, Dracula Unleashed est en fait un jeu d’aventure sympathique. Certes, l’histoire est très convenue, mais les lecteurs du Dracula de Bram Stoker seront certainement content d’en retrouver les protagonistes, et les séquences vidéo sont assez divertissantes pour éviter de s’ennuyer. La difficulté peut paraître un peu excessive au début, et les échecs peuvent être nombreux, mais les parties s’enchaînent assez rapidement pour éviter d’être trop frustré. Un petite perle du Mega-CD, à réserver malheureusement aux anglophones que les accents exotiques n’effraient pas.
Comment jouer à Dracula Unleashed aujourd'hui ?
Dracula Unleashed est moins populaire que certains jeux FMV pourtant pas forcément aussi intéressants, et il n'a bénéficié d'aucun portage ou remaster depuis sa sortie. Le meilleur moyen de le découvrir aujourd'hui est via sa version DOS, disponible en téléchargement sur les sites d'abandonware, ou encore la version DVD (eh oui), qui est celle qui offre la meilleure qualité vidéo.
Verdict
Points forts
- Un jeu ambitieux et généreux
- Des vidéos de bonne taille
- Une intrigue qui se laisse suivre
- Les accents et les postiches
- L’échec n’est pas trop pénalisant
- Système de jeu très simple
Points faibles
- Uniquement en anglais sans sous-titre
- Le manque de couleurs du Mega-CD
- Le côté nanar ne plaira pas à tout le monde
- Assez court en ligne droite
Commentaires
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Bon ben c'est toujours pareil :D
Dommage, je suis certain d'aimer.
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