Test : Dark Edge (Arcade)

Avant de parler du jeu et de vous en donner mon avis détaillé, il est important de situer les conditions de ce test. N’ayant jamais joué au titre sur borne d’arcade, c’est sur l’Astro City Mini que j’ai donc pu m’adonner sans complexe à ce titre très rare de Sega. Sans vouloir faire le test de cette machine d’exception, sachez que le jeu est reproduit parfaitement et que nous sommes largement au-dessus de la qualité des roms habituellement utilisées.

Ce postulat posé, il est temps de nous plonger dans ce jeu de Versus Fighting, style en pleine explosion durant les années 90. Pour resituer, Dark Edge est sorti début 1993 soit 2 ans après la référence 2D Street Fighter II, et quelques mois avant Virtua Fighter, le 1er jeu de combat en vraie 3D. Il n’a jamais été adapté sur console et on ne peut pas dire qu’il ait laissé une trace mémorable dans les salles d’arcade. Légitimement, la sortie de Virtua Fighter la même année l’a très certainement enterré vivant tant le gouffre technologique et de gameplay les séparant étaient tous deux importants.

Genèse d’un jeu qui n’a jamais su trouver la lumière (Dark Edge, ok…)
 

J’aurais pu faire mieux comme introduction mais c’est tout de même mieux que ce que nous propose Dark Edge. En effet, une fois le titre lancé, aucune intro digne de ce nom, uniquement le titre qui apparaît sur un fond de flammes en mouvement. Point. Pas de scénario, pas d’animations des combattants que nous allons pouvoir incarner, juste le high score et quelques secondes de jeu aléatoires.

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Des recherches sur le net m’ont permis de dénicher quelques affiches de publicité du jeu dans des anciens magazines. On peut y trouver le scénario suivant : au 25ème siècle, les humains sont privés de leur liberté individuelle et vivent sous la domination d’un super ordinateur. Le seul moyen pour les êtres humains de pouvoir assouvir leurs ambitions ou de changer de vie, est de participer à un tournoi mortel organisé par cet ordinateur maléfique. Malheureusement pour eux, tout ceci n’est qu’un piège odieux, car un super assassin gardien du temple du boss final finit toujours par tuer ses opposants. C’est donc à vous, notre dernière chance, de défier le destin et rendre sa liberté à l’humanité.

Bon, c’est pas le scénario le plus original du monde mais il aurait mérité de bénéficier d’une petite intro, pratique pourtant plutôt courante en 1993.

Mes quelques recherches m’ont permis aussi de lire qu’au préalable le jeu était prévu pour sortir fin 1992 mais qu’il aurait été un peu repoussé. J’en ignore les raisons, peut-être que les fans de la marque que vous êtes ont plus d’infos à ce sujet. Quoiqu’il en soit, il était censé démontrer les capacités de la carte Sega System 32 en matière de zooms, technique plébiscitée à cette époque et que les consoles de salon tentaient de maîtriser avec plus ou moins de succès. La Super Nintendo en usait à revendre mais avec un prix important à payer sur la pixellisation des sprites, seule la Neo Geo maîtrisait parfaitement ce système (mais elle n’était finalement qu’une borne d’arcade jouable sur une TV).

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Dark Edge était donc un pari un peu osé : sortir du lot des jeux de combat 2D qui sortaient en quantité chaque année, et dont des références cultes ont émergé rapidement (Street Fighter II, Fatal Fury, etc.), en utilisant la technique des zooms pour donner un effet de profondeur inédit pour l’époque. La 3D commençait à montrer le bout de son nez avec le fantastique Virtua Racing quelques mois plus tôt, mais restait cantonné à des bornes hors normes et donc un budget totalement différent.

Le résultat final fut particulièrement décevant mais nous y reviendrons plus tard.

Pour les amoureux de l’histoire de Sega, il faut savoir que le Game Designer est Tomichi Ohtsu qui était également sur After Burner. Il maîtrisait donc déjà cette technique d’utilisation des zooms. Dark Edge a également été le premier jeu de Hiromasa Kaneko (programmeur en chef) a qui l’on doit les très bons Ristar, Dragon Force ou Jet Set Radio Future. Comme quoi ils ont su faire largement mieux...

 L’autre vie d’Albert Wesker
 

Je ne sais pas pour vous, mais moi quand j’ai vu la jaquette publicitaire du jeu, j’ai tout de suite pensé à Wesker (Resident Evil). Même coupe de cheveux, même paire de lunettes, ou bien un ersatz de Forgotten Worlds qui avait aussi le même type de dégaine. Quoiqu’il en soit ce combattant venant du futur se nomme en réalité Thud et il sera accompagné de 5 autres camarades, pour un total de 6 persos jouables.

Nous avons donc :

  • Thud, un américain se battant avec des katanas, style samouraï, et pouvant utiliser le pouvoir du tonnerre (drôle de mélange).
  • M.E.K : un mercenaire venu d’Europe qui est devenu un Cyborg après avoir été blessé dans une guerre. Il cherche à se venger du super ordinateur qui l’a conduit à cet état.
  • Genie : la seule fille du groupe, experte en art martial et utilisant les faiblesses de garde de ses adversaires.
  • Blood : un monstre issu de diverses mutations génétiques afin d’obtenir une arme biologique. Il est capable de lancer du poison sur ses adversaires.
  • Yeager : un soldat allemand qui est devenu un Cyborg pour être le guerrier le plus puissant de la planète. Il dispose de la faculté de voler.
  • Goliath : un génie à la Tony Stark qui s’est construit une armure super puissante (mais en léger surpoids).

Comme vous pourrez le voir sur les quelques photos du jeu, aucun ne jouit d’un véritable charisme et ils sont plutôt anecdotiques. Le pire étant peut-être Yeager qui ne ressemble pas à grand-chose, ou Goliath qui marche vraiment bizarrement. Bref, dès le lancement du jeu, on est loin d’avoir un Ryu, un Ken, un Blanka qui nous donnent furieusement envie de jouer.

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À cela vous pouvez ajouter 2 ennemis non jouables : le fameux assassin qui n’a pas de nom, qui est en fait une sorte de robot ressemblant à Yeager mais en plus moche (si si c’est possible), et le dernier boss qui n’est autre que le super ordinateur. Pour celui-ci, il s’agit bien d’une immense tour d’ordinateur avec une tête de mutant au milieu. Il ne bouge donc pas et c’est vous qui tournez autour. Il se contente de tirer des missiles dans tous les sens et d’agiter des bras mécaniques. Bizarre… Autre subtilité, c’est le seul combat qui se joue en un seul round gagnant (tous les autres devront être battu lors de deux rounds, sauf lui). Allez comprendre…

Autre subtilité, une fois que vous aurez battu vos 6 adversaires (bah oui, vous devrez aussi combattre votre double maléfique), vous verrez votre perso sauter sur une sorte de skate volant et vous accéderez à une sorte de bonus stage. Avec une vue à la Space Harrier, c’est ici un shoot’em up qui vous attend. Il faudra donc détruire les drones lancés contre vous et faire le meilleur score avant d’attendre le dôme du boss final. Arrivé sur place, votre perso se trouve face à l’assassin, dernier gardien du temple. Mine de rien, cette petite transition a le mérite de rendre fluide le passage de votre héros des arènes de combat vers la tanière du boss, et d’apporter un peu d’originalité à ce titre.

À noter que chaque perso dispose de sa fin propre qui consiste en quelques screens résumant leur nouvelle vie. Pas folichon mais ils ont le mérite d’exister.

L’apocalypse ne se trouve pas dans cet univers, mais dans son gameplay
 

Le jeu se joue via les 6 boutons de la borne. Vous avez un coup de poing faible, un coup de poing fort, idem pour les pieds, et un bouton de saut sur chaque ligne (donc finalement que 5 boutons utilisés, le saut étant utilisé sur 2 boutons).

Chacun de ces personnages dispose de quelques coups spéciaux qui ne sortent pas des sentiers battus comme des quarts de cercle avant (ou arrière), des gauche / droite, des demi cercles avant (ou arrière), du classique en somme. Il y a bien MEK qui tire avec sa mitraillette à longue distance pour apporter un peu de « fraicheur », et encore…

Comme le titre de cette rubrique le suggère, vous aurez compris que le gameplay de Dark Edge est indiscutablement son principal défaut. Pour qu’un jeu de combat soit apprécié, il faut que les coups soient bien pensés dans leur conception. Que le titre propose un équilibre entre garde, attaque, coups spéciaux, avec une jouabilité répondant à la frame près. Que les coups portés aient de l’impact à l’écran, qu’on sente la puissance de nos persos.

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Ici rien ne marche vraiment, la faute dans un premier temps au système de jeu lui-même à base de zooms et donc d’arène virtuellement en pseudo 3D. En effet, votre perso peut aller dans tous les sens. Vous pouvez aller au fond de l’écran, tourner tout autour de votre ennemi et donc le frapper dans n’importe quelle position. Le premier souci est qu’on a du mal à cerner la distance d’allonge de vos coups surtout quand vous êtes (ou votre adversaire) sur le fond de l’écran. Vos deux sprites seront l’un sur l’autre mais comme ce sont des sprites 2D votre coup de poing par exemple va aller vers « l’avant » alors qu’en fait il frappe vers le fond de l’écran. Cela rend le tout assez étrange et la distance d’impact est impossible à déterminer.

Deuxième souci, vu que vous pouvez tourner tout autour, on a beaucoup de mal à faire les coups spéciaux. Faire un demi-cercle avant pour une « boule de feu » par exemple, sur un ennemi qui se trouve à 3/4 face à vous mais vers l’avant (ou le fond) du décor, bah ça marche pas. Et si l’ennemi tourne autour de vous (ce qu’il fait constamment), vous n’aurez jamais le temps de placer le moindre enchaînement parce que votre quart de tour avant, deviendra en une seconde, un quart de tour arrière. Je ne sais pas si j’arrive à vous faire visualiser le souci, mais le constat est sans appel. Dans Dark Edge, le meilleur moyen de gagner, c’est de se mettre en garde, attendre que l’adversaire approche et le frapper d’un coup de poing ou de pied au bon moment. Oubliez tout le reste, j’ai essayé, je n’ai jamais réussi à placer deux fois de suite une attaque spéciale (et pour certains persos, j’ai jamais réussi à les sortir du tout).

Quelques jeux de combats ont repris ce système par la suite (principalement sur console) et sauf erreur de ma part, ils ont tous souffert des mêmes soucis de gameplay. Preuve que le concept ne fonctionne pas.

On arrive donc avec un jeu de combat dans lequel on appuiera mécaniquement sur gros poing ou gros pieds (sans que ceux-ci s’enchaînent d’ailleurs dans une chorégraphie particulière). Pas très glamour quand on connaît la technicité d’un Street Fighter II sorti quelques années auparavant.

Bon, je dois l’avouer, je n’ai jamais été hyper doué aux jeux de combats, ou du moins je l’étais beaucoup plus à cette époque, qu’aujourd’hui. Il n’empêche que si la jouabilité avait été bien travaillée, même un débutant comme moi pourrait s’amuser un minimum.

Bienvenue du côté obscur …
 

Dark Edge présente un visuel sombre, apocalyptique, peut-être un peu trop. Dès les premiers instants on découvre une patte graphique que je trouve beaucoup trop terne. Beaucoup dans le vert, marron, kaki, gris, noir. Très peu de couleur en somme même si je comprends que le but était de placer le joueur dans un monde triste, détruit par des guerres successives et déshumanisé. Si on met de côté le stage de la ville, assez coloré, le reste est assez brut je trouve.

Toutefois, il faut noter quelques décors franchement réussis comme celui sur l’eau qui reflète tous les éléments du décor et les guerriers. On dirait du Ray Tracing avant l’heure, lol. Idem pour le stage où les nuages filent vers l’horizon, l’animation du ciel est vraiment top. Malheureusement ces deux stages ne rattrapent pas les autres, dont le pire est certainement celui sous la neige où le brouillard est bien trop présent, ou celui du dernier boss, très vide...

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Au niveau des personnages les sprites ne sont pas autant détaillés que ceux de ses concurrents 2D, à une limite technique imposée par les zooms j'imagine. Le monstre biologique est plus réussi, le samouraï pas trop mal, les autres, bof.

Côté zoom, qui est malgré tout l’argument premier de ce jeu, on peut dire sans mentir que la technique est parfaitement maîtrisée. Les sprites pixellisent bien sûr, mais pas à outrance, en restant tout de même bien lisibles de loin comme de près. Les animations bien que peu décomposées sont fluides et ne souffrent d’aucun ralentissement malgré les zooms continus.

Si on regarde le casting des programmeurs pour les graphismes, on retrouve pourtant des pointures comme Kenji Arai à qui l’on doit Sega Rally 1 et 2 ou les Initial D. On trouve aussi Masayuki Hasegawa qui travaillera sur Clockwork Knight, Virtual On, Dark Savior ou Blue Stinger. Ou encore Shinichi Nakagawa ayant travaillé sur Jurassic Park arcade, Last Bronx ou Jambo Safari, et enfin Hiroyuki Izuno, l’un des designers des Crazy Taxi ou de Confidential Mission (et Initial D). Du beau monde donc, pour un titre finalement en demi-teinte visuellement parlant.

Un dernier petit mot sur la bande son, élément pour moi essentiel dans un jeu vidéo et c’est Tomoyuki Kawamura qui était à la manœuvre. On lui doit les musiques des Sega Rally, de Last Bronx ou Golden Axe : The Revenge of Death Adder entre autres. Un beau palmarès donc. Eh bien franchement c’est pas terrible. Il a voulu donner une sonorité un peu cyberpunk à l’ensemble mais ça ne fonctionne pas vraiment. Les musiques sont oubliables et surtout lorsque votre jauge (ou celle de votre adversaire) tombe dans le rouge, c’est une autre musique qui prend le relais. Plus nerveuse, elle est la même à chaque stage, et finit par taper sur les nerfs. C’est dommage parce que les musiques des stages sont plus abouties mais elles se terminent rapidement à cause de cet interlude inutile.

Dark Edge souffre du syndrome du jeu qui est sorti au mauvais moment et avec les mauvaises intentions. Sorti après des pépites du Versus Fighting 2D, il fallait innover pour se démarquer tout en travaillant sur une architecture (système 32) qui commençait à dater. Il sort également juste après Virtua Racing et quelques jeux 3D qui étaient une ouverture vers l’avenir, et bien entendu juste avant Virtua Fighter qui finira de l’achever.

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Outre cette fenêtre de sortie catastrophique, Dark Edge ne brille malheureusement pas non plus par sa technique en offrant des combattants sans aucun charisme (d’ailleurs aucun d’entre eux ne sera repris dans un autre titre de Sega), et surtout un gameplay complètement loupé en raison de ses changements de positions incessants rendant impossible une réelle stratégie de combat. Un Versus Fighting sans enjeu ni technique n’avait aucune chance de survivre.

Sega l’a bien compris en n’adaptant pas le jeu sur console, rendant finalement Dark Edge collector… Amoureux du fighting passez votre chemin. Curieux et amoureux de la marque, essayez le pour votre culture générale.

Verdict

3

Points forts

  • Des zooms maîtrisés
  • Certains décors vraiment réussis
  • Un jeu collector
  • Un bonus stage original

Points faibles

  • Manque total de charisme des persos
  • Jouabilité trop imprécise
  • Bande son anecdotique
  • Les 2 boss finaux affreux
  • Technicité des combats absente
  • Manque criant de couleurs

Commentaires

Roh arrête, Rad Mobile c'est pas ouf mais c'est sympa ! Dark Edge on voyait déjà sur les screens dans les mags de l'époque que ça allait être nul !
Le jeu on dirait un prototype. Je ne l'ai pas essayé mais rien qu'à voir en vidéo, on sent que cela va être injouable.