Test : Policenauts (Saturn)
Aventure
Si vous êtes né dans les années 80 ou plus tôt, vous aurez forcément tiqué devant la jaquette de Policenauts. Avec son jeune flic au regard de chien fou et doté d’une magnifique coupe mulet, et son partenaire, un homme Noir moustachu d'âge mur, on est vite tenté de penser que le jeu sera une sorte de clone du film l’Arme Fatale, mais dans l’espace. Et on aura tort, car le look de ses protagonistes est bien la seule similitude entre le jeu d'Hideo Kojima et le film de Richard Donner.
Le pitch : en 2013, trois ans après la construction de la colonie spatiale Beyond Coast (je vous rapelle qu’en 1994, 2010, c’est le futur), Jonathan Ingram, nouveau membre des Policenauts, une troupe de policiers d’élite de l’espaaaace, est victime d’un accident lors d’une sortie. Il se retrouve à dériver dans le vide spatial, et est déclaré mort. Mais 24 ans plus tard, on le retrouve sain et sauf, en état de cryogénisation. En 2040, Jonathan est devenu détective privé à Old Los Angeles, et reçoit la visite de son ex-femme Lorraine, qui lui demande de retrouver son mari, qui a disparu sur Beyond. Lorraine meurt dans l’explosion de sa voiture juste après avoir quitté Jonathan, non sans lui avoir remis des objets qui semblent être des indices. Jonathan va donc aller sur Beyond pour retrouver le mari de Lorraine, ainsi que son assassin. Là-bas, il va reprendre contact avec son vieil ami Ed Brown, qui a maintenant 25 ans de plus que lui, et qui va l’aider dans son enquête.
Policenauts est un mélange de point’n click et de visual novel. Notre enquête va nous mener au commissariat central de Beyond, dans les locaux du laboratoire pharmaceutique pour lequel travaillait Hojo, le mari de Lorraine, et d’autres hauts lieux de la colonie. Les actions disponibles se limitent le plus souvent à observer notre environnement, prendre un objet, ou parler avec un personnage présent dans la pièce. L’inventaire est limité, et il n’y a pas vraiment d’énigme à proprement parler : la plupart du temps, discuter avec tout le monde et cliquer un peu partout suffit à faire avancer l’enquête. Parfois vous devrez vous promener un peu, et effectuer une action précise pour débloquer une situation, mais il n’est pas possible d’être bloqué, et si vous êtes tenté de quitter un lieu avant de l’avoir parfaitement exploré, ou avant d’avoir éclusé tous les sujets de conversation possibles avec un personnage clé, Ed vous rappellera à l’ordre. Pas de softlock possible, donc.
Le jeu est cependant ponctué de quelques séquences de gunshooting, qui restent plutôt simples, et on n’a vraiment qu’une ou deux occasions de subir un Game Over. L’intérêt de Policenauts ne réside donc pas dans la qualité ou la complexité de ses énigmes, mais essentiellement dans la qualité de son écriture.
En effet, si on peut légitimement penser en lançant le jeu que Policenauts ne fait que déplacer le concept du buddy movie dans l’espace, il est bien plus intéressant que ça. L’identité de l’assassin de Lorraine est assez vite éventée, et les enjeux deviennent autres : tour à tour sont abordés les thèmes de la corruption des élites, du racisme - avec une pointe de suprémacisme, de la marchandisation des corps et du transhumanisme, de la quête du progrès scientifique à tout prix, de la place de l’Homme dans l’univers. On n’échappe pas à certains clichés, et si vous avez vu plus de trois films dans votre vie, vous devriez voir arriver certains twists secondaires à des kilomètres, mais l’intrigue principale n’est pas avare en rebondissements et prend régulièrement une tournure de plus en plus dramatique et inattendue au fil de sa progression.
Autres temps...
C’est d’autant plus étonnant que le ton du jeu est parfois très léger, voire potache. Jonathan et Ed ont beau être des adultes, ils se comportent parfois comme des ados de 14 ans qui ont du mal à contrôler leur montée d’hormones, notamment lorsqu’ils s’adressent à un personnage féminin : on peut en effet observer et commenter chaque partie du corps de nos interlocutrices, le plus souvent à voix haute, et même tenter de peloter une cuisse, ou une poitrine. Jonathan peut par exemple s’étonner tout haut de la fermeté de la poitrine d’une femme de *gasp* 40 ans, pour apprendre de sa part que c’est grâce à des sessions de cabine 0G qui remontent tout ça. Ou appeler une réceptionniste “Sugar Tits” en toute décontraction (même si pour le coup, c’est peut-être une fantaisie de la traduction anglaise). Pour un jeu sorti au milieu des années 90, on est plus proche de Police Academy que de l’Arme Fatale 3.
Mais c’est tellement outrancier et fait avec tellement de naïveté que ça devient plus drôle qu’énervant, et on finit par attendre la prochaine opportunité de voir nos deux héros se comporter comme de gros goujats avec curiosité.On enchaîne donc des passages vraiment intelligents, finement écrits, parfois poignants, avec des séquences affreusement cliché, voire complètement tartignoles, ce qui fait de Policenauts un objet narratif assez incongru, mais aussi terriblement intéressant, et même étonamment émouvant, au final.
Et au milieu de tout ça, beaucoup de dialogues, énormément de dialogues qui, pour 80% d’entre eux, servent à développer le world building. Le moindre objet est décrit en détail, le moindre terme scientifique est expliqué clairement et précisément, le moindre concept créé pour le jeu est développé. L’univers de Policenauts est riche et cohérent, et on ne se lasse jamais d’en apprendre davantage, notamment via le lexique consultable à tout moment. On reconnaît bien là l’obsession du détail de Hideo Kojima, qu’on retrouvera dans ses autres productions, et pour peu que vous soyez un peu amateur de science fiction, vous devriez être aux anges. Les personnages principaux et secondaires sont bien caractérisés, et les dialogues (autres que ceux qui portent sur les attributs des personnages féminins) sont vraiment bien écrits. Heureusement, car on ne fait quasiment que discuter dans Policenauts, parfois très longuement, souvent en égrainant toutes les options disponibles pour débloquer la situation. C’est parfois un peu pénible, et on tourne un peu en rond en tentant de se rappeler au bout de quel sujet on on n’est pas encore allé, mais peu importe au final : on n’est jamais coincé bien longtemps, et on est toujours récompensé par le développement de l’histoire, qu’il soit dramatique ou un tantinet ridicule.
Si la version MSX avait bénéficié d’un magnifique pixel art, la version Saturn est passée au celluloid. Le résultat est superbe, avec un chara-design à la fois très 90's et intemporel de Tomihau Kinoshita, qui avait déjà oeuvré sur Snatcher, et un mecha-design de Hajime Katoki (Gundam, Super Robot Wars, Virtual-On, excusez du peu) et Yoji Shinkawa, qui travaillera ensuite sur tous les jeux de Hideo Kojima. Le travail sur la bande sonore est aussi très solide, avec des dialogues souvent doublés par un casting expérimenté (Jonathan est doublé par Hideyuki Tanaka, Aiola dans Saint Seiya, par exemple), une excellente bande son, et surtout un thème principal incroyable.
La version Saturn est considérée comme étant la meilleure ; les séquences (anecdotiques, franchement) de tir à la première personne sont jouables au gun, et le contenu bonus d’autres éditions, comme des vidéos making of et une interview de la comédienne de doublage Kikuko Inoue, qui double Karen, sont accessibles après avoir terminé le jeu.
Policenauts est un jeu qui respire Hideo Kojima avant qu’il devienne Hideo Kojima. Il réussit à infuser des décennies d’oeuvres de science-fiction sans tomber dans l’écueil de la citation bête et méchante, tout en étant parfaitement dans l’air du temps à l’époque de sa sortie. Malgré quelques facilités scénaristiques, et un aspect potache pas toujours à-propos, il fait preuve d’une maturité et d’une ambition qui détonnent dans le paysage vidéoludique de l’époque. Un titre majeur sans aucun doute, qui a de quoi marquer une vie de joueur.
Comment jouer à Policenauts aujourd'hui ?
Policenauts n’est jamais sorti en occident à l’époque, et n’a bizarrement fait l’objet d’aucune réédition depuis, en dépit de la starification de son créateur. Le jeu étant proprement infaisable sans comprendre la langue, il faut donc se tourner vers les patchs de traduction amateurs de la version Playstation et Saturn pour en profiter. Le jeu original se trouve encore à des prix abordables en occasion, ce qui permet d’avoir à disposition le manuel, bien utile pour certaines énigmes. Je rêve cependant d’une réédition combinée avec Snatcher, dans une sorte de “Hideo Kojima Cinematic Collection” pour profiter des superbes illustrations du jeu en haute définition.
Verdict
Points forts
- Scénario vraiment palpitant
- La méticulosité du world building
- Le chara et le mecha design au top
- La qualité d’écriture des personnages
- Le doublage de qualité
- Des influences bien digérées
- Les musiques
- Un objet vidéoludique assez fascinant
Points faibles
- L’humour graveleux pas toujours approprié
- Les scènes de gunshooting pas très intéressantes
- Gameplay au final très limité
- Pas de version occidentale officielle
Commentaires
Archives commentaires
L'humour graveleux est un énorme plus en ce qui me concerne. Tellement '90.
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Faudra vraiment que je corrige cette lacune un jour ou l'autre.
Merci pour le test sur Saturn
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De l’humour graveleux ? Fallait le dire plus tôt, ça motive :p
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J'invite toutes les personnes qui ont aimé Policenauts à jouer à AI the Somnium Files. On y retrouve pas mal de similarités sur l'ambiance, le héros, c'est du roman policier, l'humour graveleux etc... Et c'est très bon. Il y a aussi une suite, d'un bon niveau également.
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