Interview : Roel van Mastbergen (Beats of Rage, Intrepid Izzy)

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English version below

La Dreamcast n'est pas morte, elle bouge encore, notamment grâce à une scène homebrew toujours dynamique. A l'occasion du 20è anniversaire de la Dame Blanche, nous avons posé quelques questions à Roel van Mastbergen, du studio Senile Team, créateur de Beats of Rage, Rush Rush Rally Racing, et qui développe en ce moment Intrepid Izzy. Nous le remercions chaleureusement pour ses réponses détaillées !

SM : Tout d'abord, vous êtes devenus célèbres avec Beats of Rage, qui était un hommage à Streets of Rage 2. Qu'est-ce qui a changé pour vous après le succès du jeu ?

RvM : Si je me souviens bien, les choses ont commencé à changer dès le matin qui a suivi la mise à disposition du jeu en téléchargement.

Nous avions compté sur une poignée de téléchargements, au mieux, mais nous étions loin du compte.. Notre serveur n'arrivait pas à gérer tout le trafic ! J'ai écrit des scripts pour limiter le nombre de connections simultanées avant même de prendre mon petit-déjeuner.

Cela a remis notre serveur en ligne, mais la demande pour le jeu a continué à augmenter pendant des mois. Heureusement, nous avons rapidement été contactés par les admins de plusieurs sites (surtout dédiés à Sega), qui nous ont offert des hébergements miroirs. Cela a finalement réglé le problème de trafic.

La sortie du Beats of Rage edit pack (les instructions pour modder le jeu) a encore augmenté sa popularité. Cela a aussi déclenché la formation de diverses communautés très actives dédiées au jeu. Nous avons rencontré beaucoup de monde grâce à cela, y compris Ben, qui est devenu un ami cher, et le compositeur des bandes son de nos jeux ultérieurs.

Nous avons aussi diffusé le code source. Une des premières réactions venant de quelqu'un qui affirmait que c'était inutile, parce que certaines portions étaient rédigées en assembleur, et qu'il était donc "impossible" de porter le jeu sur Dreamcast. Quelques jours plus tard, nous avons été contactés par Neil Corlett, qui venait de le porter sur PlayStation 2 et Dreamcast. Il nous a aidés plus tard à nous lancer dans le développement Dreamcast. Et maintenant, 15 ans plus tard, nous y sommes toujours !

 
Beats of Rage

 

Combien de personnes composent l'équipe aujourd'hui ?

Actuellement nous sommes quatre : les trois membres d'origine (mes deux frères et moi-même), et Ben. Notre projet actuel, Intrepid Izzy, est essentiellement un one-man show, cependant. Evidemment Ben s'occupe de la musique, mais je m'occupe de tout le reste (programmation, graphismes, design, effets sonores, etc.), ce qui représente plus qu'un job à temps plein.

Certains choisissent de développer des homebrews sur des systèmes classiques pour repousser leurs limites. Pourquoi avez-vous choisi de développer des jeux sur Dreamcast ? Est-ce en raison de votre histoire personnelle avec la console, pour des raisons techniques, ou peut-être les deux ?

On s'est un peu jetés dedans comme ça. Honnêtement nous ne savions absolument rien du développement sur consoles quand nous avons fait Beats of Rage. Mais comme je l'ai dit, ça a changé grâce à Neil. Mais je pense que ce qui nous a vraiment attirés, c'est à quel point la communauté Dreamcast était active et accueillante à l'époque. Bien sûr, elle est toujours accueillante, mais loin d'être aussi importante qu'à ce moment là . La version Dreamcast de Beats of Rage a été, de loin, le portage console le plus populaire.

En plus de la communauté, plusieurs autres facteurs nous ont poussés à nous concentrer sur la Dreamcastâ... Il est relativement facile de développer dessus, grâce au design du hardware et la disponibilité d'outils gratuits. Une faille dans son dispositif de protection anti-copie permet aux jeux d'être lancés avec des CD ordinaires, sans qu'il y ait besoin de toucher au hardware. Cela a peut-être conduit à la fin prématurée de la machine, mais ça aussi ouvert la porte à des développeurs indépendants ou de homebrews, qui ont donné une seconde vie à la console.

Et oui, j'aime bien pousser un peu la machine parfois pour voir de quoi elle est capable :)

Il y a des tonnes de jeux qui sortent sur Steam, alors peut-être que c'est une façon de gagner en visibilité ?

Ou peut-être que c'est une façon de devenir un grain de sable dans un océan de jeux. On verra :)

Beats of Rage est sorti il y a 15 ans. Qu'est-ce qui a changé pour vous et la communauté homebrew ? Pensez-vous avoir gagné en reconnaissance auprès de la presse et du public ?

Eh bien, quand Beats of Rage était au sommet de sa popularité, il y avait plusieurs communautés actives autour de lui - certaines comme une sous-section de sites web existants, d'autres en tant que sites dédiés. Autant que je sache, il n'en reste plus qu'une aujourd'hui. Le nombre de sites web et de communautés dédiés à la Dreamcast (homebrew ou pas) a aussi beaucoup diminué. Mais c'était prévisible, bien sûr.

Je pense cependant que l'intérêt de la presse a augmenté. A l'époque de Beats of Rage, les interviews étaient un peu superficielles. "Dites-nous qui vous êtes et ce que vous faites", ce genre de choses. Maintenant c'est différent. Les interviewers connaissent le sujet, et posent des questions plus pointues. Ce n'est pas plus facile de leur répondre, mais en tous cas c'est bien plus intéressant !

Parlons de vos jeux maintenant. Pourquoi avez-vous décidé de commencer par développer un jeu de course, avec Rush Rush Rally Racing ? Quels ont été les retours ?

Au départ il s'agissait du sujet d'une compétition de code. Et en tant que tel, il était censé être un jeu bien plus petit, et basique. Cependant, la compétition a été annulée car le sponsor avait fait faillite. A ce moment, notre petit jeu avait déjà grossi bien au-delà de ce qui était prévu (comme cela arrive souvent avec les projets de jeux), et il a fini par devenir assez addictif. Alors nous avons décidé de sauter le pas et d'en faire quelque chose qui valait la peine d'être publié, en ajoutant des niveaux, des personnages, des modes de jeu, et même différentes fin animées.

Les retours ont été très positifs, à la fois de la part de la presse et du public. Plusieurs publications l'ont nommé "un des meilleurs" dans une catégorie ou l'autre, et certains joueurs nous ont même dits qu'il s'agissait de leur jeu préféré.

Cela a motivé le développement d'une version améliorée pour WiiWare. Cependant, bien que nous ayons été en tête des charts du WiiWare quelques fois, ça n'a pas du tout été un succès commercial. La faute à des problèmes avec l'éditeur, et à la plateforme en elle-même.

A la demande générale, nous avons sorti cette version améliorée sur Dreamcast en 2017, sous le titre "Rush Rush Rally Reloaded".

Intrepid Izzy est votre cinquième jeu. Pourquoi avoir choisi de faire un jeu de plateformes ? Quelles ont été vos sources d'inspiration, en termes de gameplay et de style graphique ?

En ce qui me concerne, l'idée de créer un jeu de plateforme m'attirait énormément, parce que je pense qu'il s'agit d'un genre bien plus versatile que ce que beaucoup de gens s'imaginent. Le nom "jeu de plateforme" suggère qu'il s'agit juste de sauter de plateforme en plateforme, mais de mon point de vue il est difficile de trouver un genre qui propose un répertoire de gameplays aussi varié que les jeux de plateforme.

Du point de vue du gameplay, Intrepid Izzy pioche dans plusieurs sources, mais les deux influences principales sont Sonic The Hedgehog et Streets of Rage.

L'influence de Sonic ne sera pas évidente pour tout le monde. Izzy ne se met pas en boule, et ne court pas dans des loopings, elle ne saute pas sur les ennemis, et le jeu n'est pas autant axé sur l'élan. Mais la façon dont la physique est codée est très proche de celles des jeux Sonic classiques. On le voit clairement dans le niveau du chariot de la mine, qui d'ailleurs comprend des loopings.

L'élément tiré de Streets of Rage (ou Beats of Rage) est la façon dont Izzy bat ses ennemis. Comme je l'ai dit, elle ne leur saute pas dessus. A la place, elle se bat en utilisant un seul bouton d'attaque, avec des combos automatiques. Cela surprend souvent les nouveaux joueurs, mais les retours ont été super positifs.

Quant au style graphique, il a été conçu en combinant plusieurs techniques. Bien que tout soit fait dans Photoshop, le trait est lourdement influencé par mes amis de dessin à l'encre sur papier. D'un autre côté, j'ai également délibérément inclus certains aspects du pixel art. C'est surtout visible dans l'utilisation des couleurs, les proportions des personnages et le fait que je ne me prive pas de laisser des briques visibles.

Le style artistique est aussi quelque peu influencé par les techniques d'animation utilisées. Bien que certaines choses soient animées en dessinant chaque frame à la main, c'est un procédé très coûteux en temps que je tente d'éviter. La plupart des animations sont faites en transformant des images fixes en utilisant un logiciel maison. Cela donne un mouvement très souple, mais vivant.

Vous n'avez pas choisi la facilité en développant un jeu de plateformes avec autant d'exploration. En général les développeurs choisissent la sécurité avec des jeux linéaires. Quel est le plus gros challenge en termes de level design ?

Vous avez tout à fait raison ! Créer des niveaux vastes tout en faisant en sorte qu'ils soient à la fois intéressant et logiques est loin d'être facile. Mais le plus difficile est certainement d'avoir une bonne vision de la structure globale du monde du jeu, et de la façon dont les niveaux doivent être interconnectés.

Ce qui rend la tâche encore plus difficile est le fait que je dois partager mon temps entre différents rôles... Quand je programme, je pense que je devrais peut-être plutôt dessiner. Quand je dessine, je me dis que je devrais concevoir les niveaux. Quelque soit la tâche à laquelle je me consacre, il y a toujours cette impression pernicieuse que la priorité est ailleurs. Cela peut rendre très difficile la prise de recul.

Récemment de studios indépendants ont été embauchés par des éditeurs pour développer des suites ou des remakes de jeux classiques, comme LizardCube avec Dragon's Trap ou Streets of Rage 4, ou Game Atelier avec Monster Boy. Si vous en aviez l'opportunité, de quel jeu souhaiteriez vous développer un remaster une ou suite ?

Vous touchez un point sensible, parce que s'il y a bien une IP à laquelle nous aurions souhaité nous frotter, c'est bien Streets of Rage.

Cela étant dit, j'ai transféré votre question au reste de l'équipe. Cela a provoqué beaucoup de discussions sur les jeux qui méritent une suite ou une mise à jour, sans forcément vouloir nous y atteler nous-même. Panzer Dragoon, Landstalker, Road Rash, Bonanza Brothers, Rolling Thunder, Thunder Force, et d'autres ont été mentionnés. Mais, puisqu'aucune conclusion claire n'en est sortie, je vais donner mon choix personnel qui est Golden Axe. Bien que plusieurs jeux liés à Golden Axe ont été développés au cours des années, je pense que nous sommes d'accord sur le fait qu'ils étaient décevants. Je pense que nous pouvons produire un bien meilleur travail pour ramener cette série classique à la vie.

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English version

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First things first : you became famous with Beats of Rage, which was a tribute to Streets of Rage 2. What changed for you after the success of the game ?

If I remember correctly, things started to change the morning after we made the game available for download. We had only counted on a handful of downloads at best, but we were proved very wrong indeed... There was too much traffic for our server to handle! I hurriedly wrote some scripts to limit the number of simultaneous connections before I had even had breakfast.

That got our server back online, but the demand for the game would still keep growing for months. Fortunately we were soon contacted by admins of various websites (mostly Sega-related ones) who offered to host mirrors. That eventually alleviated the traffic problems.

The release of the Beats of Rage edit pack (instructions on how to mod the game) further added to its popularity. It also sparked the formation of various active communities dedicated to the game. We got to know a lot of people that way, including Ben, who has since been a dear friend as well as the soundtrack composer for our subsequent games.

We also released the source code. One of the first reactions to that was from someone who claimed that it wasn't useful, because portions of it were written in Assembly Language and it was therefore "impossible" to port to the Dreamcast. A few days later, we were contacted by Neill Corlett, who had just ported it to PlayStation 2 and Dreamcast. He later also helped us get into Dreamcast development. And now, 15 years later, we're still into it.

So how many people are part of the team right now ?

Right now there's four of us: the original three team members (myself and my two brothers), and Ben. Our current project (Intrepid Izzy) is mostly a one-man show, though. Obviously Ben is doing the music, but I'm handling all the rest (programming, graphics, design, sound effects, etc) which is more than a full-time job.

Some people choose to develop homebrews on classic systems to push them to their limit. Why did you choose to develop games for the Dreamcast ? Is it because your personal history with the console, for technical reasons, maybe both ?

We kind of rolled into it. Frankly we didn't know the first thing about developing for consoles when we made Beats of Rage. But as said, that changed thanks to Neill. But I think what really drew us in, was how welcoming and active the Dreamcast community was at that time. It's still welcoming, of course, but nowhere near as big as it was back then. The Dreamcast version of Beats of Rage was by far the most popular console port.

Besides the community, there were several other factors that motivated our focus on the Dreamcast... It is relatively easy to develop for, thanks to the hardware design and the availability of free tools. A flaw in its copy protection means that games can be booted from ordinary CD's without the need for any hardware modifications. This may have led to the system's premature demise, but it has also opened the door for homebrew/indie developers, who gave the system a second life.

And yes, I do enjoy pushing the machine a bit sometimes to see what it's capable of. :)

There are tons of games released on Steam, so maybe it is a way to gain some visibility ?

Or perhaps it's a way to become an invisible speck in a boundless ocean of games. We shall see. :)

Beats of Rage was released 15 years ago. What has changed for you and the homebrew community since them ? Do you think you gained more recognition from the press and the public ?

Well, when Beats of Rage was at the height of its popularity, there were several active communities based around it - some as a subsection of existing websites, some with dedicated websites. As far as I know there's only one left now. The number of websites and communities dedicated to all things Dreamcast (homebrew or otherwise) has also diminished a lot. But that was to be expected of course.

I do think the interest from the press has improved, though. Back in the days of Beats of Rage, the interviews were mostly very shallow. "Tell us who you are and what you do", that sort of thing. Nowadays it's a different story. The interviewers know their stuff and ask in-depth questions. That doesn't always make it easier to answer them, but it sure is a lot more interesting!

Let's talk about the games now. Why did you choose to develop a racing game first, with Rush Rush Rally Racing ? What kind of feedback did you have ?

It was originally intended as an entry for a coding competition. As such, it was supposed to be a much smaller, simpler game. However, the competition was cancelled on account of their sponsor going out of business. By that time our little game had already grown much bigger than planned (as game projects often do), and it also turned out to be quite addictive. So we decided to go the extra mile and turn it into something worth publishing, adding more levels, cars, characters, game modes and even different animated endings.

Feedback was very positive, both from the press and from the general public.Several publications have called it "one of the best" in some category or another, and some players even told us it was their number one favourite game.

This prompted the development of an enhanced WiiWare version. However, despite having placed number one in the WiiWare charts a few times, it wasn't a commercial success at all. Problems with the publisher as well as the platform itself were to blame.

By popular request, we released the enhanced version on the Dreamcast again in 2017, as "Rush Rush Rally Reloaded".

Intrepid Izzy is your fifth game. Why settle on a platform game ? What have been your inspirations, in terms of gameplay and art style ?

To me personally, the idea to create a platform game was very attractive because I think it is a much more versatile genre than many people seem to assume. The name "platform game" suggests that jumping from one platform to another is all there is to it, but in my view it's hard to find any genre with so varied a repertoire of gameplay elements as platform games.

Gameplay-wise, Intrepid Izzy draws from many sources, but the two major influences are Sonic The Hedgehog and Streets of Rage.

Sonic's influence is not always apparent to everyone, though. Izzy doesn't roll or run through loopings, she doesn't jump onto enemies and the game isn't so heavily focussed on momentum. The way the physics are coded is very similar to classic Sonic games, though. This can clearly be seen in the mine cart level, which actually does contain loopings.

The Streets of Rage (or Beats of Rage) element is in the way Izzy defeats enemies. As said, she doesn't jump on them. Instead, she fights using a single attack button with automatic combos. This often takes first time players by surprise, but the feedback on it has been super positive.

As for the art style, it was created by combining several techniques. Although it's all done in Photoshop, the line art is heavily influenced by my years of drawing with ink on paper. On the other hand I have also very deliberately included certain aspects from pixel art. This is mostly visible in the use of colour, the proportions of the characters and the fact that I don't shy away from leaving in visibly square tiles.

The art style is also somewhat guided by the employed animation techniques. Although some things are animated by manually drawing each frame, this is a time-consuming process that I try to avoid. Most animation is done by transforming still images using custom-made software. This results in very smooth, but lively motion.

You didn't choose the easy way by developing an platformer with so much exploration. Usually developers keep it safe with linear games. What's the biggest challenge with the level design ?

You certainly have a point! Making large levels while keeping them both interesting and logically consistent is far from easy. But the hardest part is probably to wrap my mind around the global structure of the game world, and how the levels should be interconnected.

What makes that even harder is the fact that I have to divide my time across so many different roles.. When I'm programming, I feel that maybe I should be drawing. When I'm drawing, I feel I should be making levels. It seems that whatever I'm working on, there's always a nagging feeling that something else has priority. That can make it very hard to focus on the bigger picture.

Recently some indie studios have been hired by editors to develop some sequels or remake of classic games, like LizardCube with Dragon's Trap of Streets of Rage 4, or Game Atelier with Monster Boy. If you had the opportunity, which game would you like to develop a remaster or a sequel to ?

You've hit a bit of a sore spot there, because if there's any IP we would have liked to take on it's Streets of Rage.

Barring that, I have forwarded this question to the rest of the team. It led to much discussion about games which would deserve a sequel or update, although not necessarily ones we would want to tackle ourselves. Panzer Dragoon, Landstalker, Road Rash, Bonanza Brothers, Rolling Thunder, Thunder Force and others were mentioned. However, since no clear conclusion was reached, I'm going for my personal choice which is Golden Axe. Although several Golden Axe-related games were developed over the years, I think we can all agree those were underwhelming. I believe we can do a much better job breathing new life into this classic series.

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